Le 20 septembre prochain, L'Archipel fêtera ses 20 ans dans ses murs : 250 m2 d'un solide hôtel particulier sis au 34, rue des Bourdonnais, dont les cours intérieures sont un havre de paix entre la bruyante rue de Rivoli et l'agité Forum des Halles. L'arrivée, en 2000, dans ce massif bâtiment historique transformé s'est trouvée financée par un ouvrage carré petit mais aux très grosses ventes, à 20 francs pièce : Le petit livre du calme de l'Australien Paul Wilson, traduit et publié en 1997 aux Presses du Châtelet, la filiale bien-être, santé, développement personnel, spiritualité, etc., créée trois ans plus tôt. "Nous en avons écoulé 200 000 exemplaires, ce qui a lancé la vogue des collections de ce genre", se souvient Jean-Daniel Belfond, P-DG, fondateur et principal actionnaire du groupe, dont il partage le contrôle avec sa femme. "A cause du format, personne en France ne voulait de ce livre que Penguin avait tiré à 2 millions d'exemplaires. J'ai supposé qu'on arriverait bien à faire 10 % de ce score." Le filon est maintenant épuisé, mais plusieurs déclinaisons de ce succès initial avaient réalisé de bons scores.
Le meilleur rapport qualité-prix
"Nous essayons d'être opportunistes, dans le bon sens du terme, en offrant le meilleur rapport qualité-prix au lecteur", explique ce fils d'éditeur passé par l'ESCP, qui a d'abord travaillé dans la presse. L'ouverture de son entreprise en septembre 1991 avait suivi son départ de la maison créée par son père, où il était entré en 1988, avant la prise de contrôle par Masson - Belfond est maintenant une des marques de Place des éditeurs, filiale d'Editis.
Ce souci du rapport qualité-prix se manifeste dans un des lancements de la rentrée, porté par la filiale Archipoche, créée en 2005. "Nous publierons le 5 octobre les quatre premiers titres de "La bibliothèque du collectionneur", inspirée de la Bibliothèque Nelson,qui avait repris au début du siècle les grands classiques de la littérature mondiale dans une fabrication soignée." Archipoche repart sur les mêmes principes : volumes reliés, sous jaquette, dorés sur les trois tranches, sous une couverture élégamment désuète de style Art nouveau, vendus de 12 à 14 euros en fonction de la pagination. "L'édition est un éternel recommencement", reconnaît Jean-Daniel Belfond, qui avait déniché un de ces ouvrages dans un vide-grenier. Chaque titre est fabriqué à 6 000 exemplaires en Chine par Imago. L'éditeur calcule une marge brute plus proche du beau livre que du poche, à un coefficient d'environ un cinquième entre le coût de revient et le prix de vente. Quatre autres titres doivent suivre cette année, et une douzaine l'an prochain, tous destinés à la vente en librairie. "Nous n'avons pas de partenariat prévu avec la presse", insiste le patron de L'Archipel, persuadé qu'il y a un créneau pour ces rééditions, malgré les innombrables versions en circulation et la profusion récente de classiques numérisés et gratuits.
Cette certitude serait-elle fondée sur une étude de marché, aussi confidentielle que stratégique ? "Surtout pas ! Les études ne démontrent jamais rien. Je pratique le marketing nasal ! Si l'intuition est juste, on publie tant que le marché existe. Sinon, on passe à autre chose", assume sereinement l'éditeur du Petit livre du calme au travail, en ajoutant que "le risque est consubstantiel à ce métier".
Une incursion dans le parascolaire, toujours avec Archipoche, en quatre volumes (La conjugaison, Le vocabulaire, L'orthographe, Le style), relève, elle aussi, de cet art du pifomètre, qui nourrit aussi un autre lancement, en jeunesse sous le label "Galapagos". Dirigée par Thierry Lefèbvre, elle démarrera le 11 octobre avec trois titres répondant chacun à un genre qui a fait ses preuves : la littérature de vampire avec Nuit tatouée (Charlotte Bousquet), la saga historique avec L'eau des anges (Béatrice Egémar) et la fantasy avec Avant les ténèbres (Nicolas Cluzeau). L'activisme des 20 ans se poursuivra par une collection d'entretiens, rattachée au label Ecriture. "L'objectif est de faire le point avec des guetteurs du siècle, des modèles d'une génération", explique le fils de Pierre Belfond, qui avait produit une série similaire en 1964. Jean-Claude Carrière (L'esprit libre, à paraître le 20 septembre), Michel Tournier (Je m'avance masqué, 5 octobre) et Bertrand Tavernier (Le cinéma dans le sang, en novembre) ouvriront la collection. Jean Tulard, Daniel Mesguich, Jean-Claude Casadesus sont promis pour l'an prochain. Les droits seront partagés à égalité entre l'auteur de l'entretien et son interlocuteur, lequel ne recevra toutefois pas d'à-valoir.
"Ne me refâchez pas avec lui !"
La rentrée verra aussi le retour de Yann Queffélec, avec L'ennemie dans la peau, un roman d'abord programmé en juin, puis reporté au 26 octobre. Le prix Goncourt 1985 s'était fâché avec son éditeur à propos d'un récit autobiographique publié malgré lui, avait-il affirmé. Le piano de ma mère a fait un honorable parcours, malgré un démarrage conflictuel, et a été réédité chez Archipoche. "Nous nous sommes parlés, ce que nous n'avions pas réussi à faire. Yann est un auteur auquel il faut presque arracher ses manuscrits, qu'il reprend énormément sur épreuves. Mais ne me refâchez pas avec lui !", coupe l'éditeur, dont l'attention pour son auteur a pu être dispersée en raison du rythme plus que soutenu de sa programmation - 190 nouveautés en moyenne par an, dont >une dizaine de rééditions, assurées par une quinzaine de collaborateurs.
La maison vit de ce flux, les nouveautés apportant 80 % des recettes. "Evidemment, nous aimerions publier deux fois moins et réaliser deux fois plus de recettes", rêve Jean-Daniel Belfond, qui communique sur son activité sans réticences : "Nous avons réalisé l'an dernier 5,7 millions de chiffre d'affaires, pour 250 000 euros de résultat d'exploitation. Une fois les frais de fabrication payés, chaque titre devrait atteindre 10 000 euros de résultat net pour couvrir les charges, mais un tiers d'entre eux est déficitaire. Il faut accepter l'échec, tout en essayant d'en tirer les enseignements."
S'il publie toujours en littérature, il est plus à l'aise dans les biographies de chanteurs, la spiritualité (deux centres d'intérêt personnels) ou encore le document politique. "Nous avons démarré dans ce domaine en janvier 2002 avec le livre de Jean-Pierre Raffarin, alors parfait inconnu", dont Jacques Chirac a fait son Premier ministre après la présidentielle : "Nous en avons vendu 15 000 exemplaires."Les coulisses d'une victoire, quick-book qui avait suivi l'élection sans surprise de Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen, a atteint le même score.
Un ou deux scoops
La réputation de la maison dans le document politique s'est vraiment installée en 2007, avec Ségolène Royal : les coulisses d'une défaite, qui contenait la révélation de sa séparation d'avec François Hollande. L'éditeur, emporté par l'emballement médiatique, a trop réimprimé, à 140 000 exemplaires, pour 40 000 ventes. "Un document fonctionne à condition de contenir un ou deux scoops qui généreront des retombées médiatiques. Et il faut avoir le courage de refuser de servir l'intégralité des volumes commandés !"