Au 170 bis, boulevard du Montparnasse à Paris (14e), juste en face de La Closerie des lilas, les entreprises de BTP s’activent pour livrer dans les temps un immeuble totalement rénové aux normes les plus exigeantes de qualité environnementale. Il appartient au groupe de réassurance Scor qui investit près de 5 millions d’euros dans les travaux et y logera Belin et les Presses universitaires de France (Puf), les deux maisons d’édition dont il a pris le contrôle en 2014, et qui vont fusionner. A sa manière, le chantier a illustré la sociologie des mouvements sociaux, un des thèmes de publication des Puf, spécialistes des sciences humaines. Au cours d’une des nombreuses manifestations d’opposants à la loi Travail, par ailleurs soutenue par Denis Kessler, le très libéral patron de Scor, divers matériaux ont servi de projectiles contre les forces de l’ordre, mais "l’immeuble n’a pas été saccagé", note avec soulagement François de Varenne, président de Scor Global Investments (GI), la branche qui gère le portefeuille d’investissements du groupe.
"Le déménagement est programmé pour l’hiver 2017", précise Frédéric Mériot, directeur général des Puf. "La fusion des deux maisons se vivra vraiment à ce moment", ajoute Sylvie Marcé, son homologue chez Belin. Organisée cet automne, la fusion juridique va précéder le rapprochement physique des équipes. Les comités d’entreprise ont approuvé le projet à la veille des vacances. "Il n’y aura aucune réduction de personnel, ce rapprochement se faisant à effectif constant", insiste François de Varenne. "C’est un projet qui ouvre des perspectives de développement, avec une forte composante d’innovation", ajoute Sylvie Marcé. "L’opération arrive à un bon moment, les deux entreprises sont dans une phase de renforcement de leur activité", souligne Frédéric Mériot. Toutes les filiales de Belin (Le Pommier, Gérip, Pour la science, Edulib) sont conservées, de même que la diffusion-distribution de l’éditeur scolaire, et la diffusion des Puf.
Un nom encore à trouver
Les actifs des deux maisons seront transférés à une nouvelle société, dont le nom reste à trouver. Ce sera une dénomination neutre, pour laisser toute leur place aux marques historiques composant cette entité. Le commissaire aux apports chargé de les évaluer aura du travail : aux Puf, il y a encore des actionnaires minoritaires (notamment Madrigall, via Flammarion, pour 15 %), de même que chez Belin (Covéa, groupement de mutuelles, pour 9,5 %), dont il faudra respecter les intérêts. La présidence restera à Jean-Claude Seys, ancien dirigeant de banques et de mutuelles, déjà président des deux maisons. Il préside aussi l’institut Diderot et a créé Covéa, venu au secours des Puf en 2010 via une fondation. Sylvie Marcé sera directrice générale de cette nouvelle société et Frédéric Mériot sera directeur général délégué, responsable des opérations, des services et de la stratégie digitale.
L’ensemble sera organisé en trois départements. Savoirs de référence reprendra l’essentiel de la production des Puf, avec quelques collections de sciences de Belin et l’ensemble des 40 revues. Il sera dirigé par Monique Labrune, actuelle directrice éditoriale des Puf. Le département Education rassemblera la production scolaire et parascolaire de Belin, et l’édition dédiée aux classes préparatoires et aux concours (Puf). Enfin, Culture et connaissances regroupera les titres grand public, notamment beaucoup d’histoire chez Belin, qui a de grands projets dans ce secteur, et la collection "Que sais-je ?". Les responsables ne sont pas encore nommés. "L’ensemble devrait réaliser 40 millions d’euros de chiffre d’affaires", prévoit Sylvie Marcé.
"Si on me fait des propositions…"
"Ces deux entreprises n’avaient pas la taille critique suffisante que leur apportera la mutualisation des fonctions supports. C’est la mise en place d’une confédération de moyens au service d’une fédération de marques, dans une architecture ouverte qui nous permettra d’en accueillir éventuellement d’autres. Sans être dans une démarche active de rachats, si on me fait des propositions qui font sens, je les étudierai", déclare François de Varenne, qui se dit aussi patient. "C’est un investissement de moyen à long terme, à cinq, dix ou quinze ans." Pour 3,9 millions d’euros, le groupe a pris aussi 39,5 % du capital de Gutenberg Technology, start-up de service d’édition numérique.
Arrivé dans l’édition par la volonté de Denis Kessler, animé par un sentiment d’obligation de sauver les Puf de la faillite, Scor prend goût à l’affaire. A 1,3 million d’euros "l’investissement était un des plus modestes que j’ai réalisés, mais aussi un des plus médiatisés", s’amuse encore François de Varenne, par ailleurs cofondateur en 2001 de la librairie numérique Cyberlibris avec Eric Brys. Le président de Scor GI a poliment refusé de multiples propositions de reprise, jusqu’au dossier Belin, convoité aussi par Magnard/Albin Michel. L’opération a soulevé une nouvelle série d’appels du pied. "Nous n’avons pas vocation à contrôler de grands groupes d’édition. Mais nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de protéger la diffusion de la connaissance authentifiée et certifiée, face à l’information d’origine incertaine qui caractérise Internet. Cela s’inscrit dans une démarche d’investisseur socialement responsable dans le cadre de nos critères ESG (Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance) qui guident notre politique d’investissement", explique François de Varenne.