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Benoît Laureau (L'Ogre) : « Pour capter les libraires aujourd'hui, il faut être constamment sur le terrain »

Benoît Laureau, fondateur en 2011 des éditions de l'Ogre, relance l'activité en 2025 - Photo Olivier Dion

Benoît Laureau (L'Ogre) : « Pour capter les libraires aujourd'hui, il faut être constamment sur le terrain »

L'éditeur indépendant diffusé et distribué par Harmonia Mundi reprend du service après une pause de six mois. Une respiration nécessaire qu'il explique par une évolution de plus en plus rapide des différents métiers de la chaîne du livre. 

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Par Éric Dupuy
Créé le 03.12.2024 à 17h42

Après six mois d’arrêt, la maison d’édition L’Ogre reprend du service dès janvier 2025 avec l’entrée au capital à titre personnel de Dominique Bordes, par ailleurs fondateur des éditions Monsieur Toussaint Louverture. « Il accompagne la relance sur un plan financier et intellectuel », indique Benoît Laureau à Livres Hebdo.  

Ce dernier avait fondé sa maison d’édition en 2015 avec Aurélien Blanchard, qui a quitté la structure en 2023. Outre la valorisation de son catalogue d’une soixantaine de titres, la maison d’édition diffusée et distribuée par Harmonia Mundi va revoir sa stratégie éditoriale avec une nouvelle maquette et deux nouvelles collections : Les Lucioles dédiée à la non-fiction (3 titres par an) en septembre 2025 et Les Ogresses dédiée à la fiction contemporaine (4 titres par an) dès janvier. « Ce sont des fictions badasses à l’image des romans de Gabriela Cabezon Camara ou de Céline Minard », s’enthousiasme l’éditeur remis d’une sévère maladie et qui explique ces changements dans un entretien à Livres Hebdo.

Livres Hebdo : Quelle était la première problématique que vous avez identifiée dans votre stratégie éditoriale ?

Benoît Laureau : Quand nous avons travaillé à la relance avec Dominique Bordes, la première chose que j'ai réalisée, c'est que je connaissais mal mon public. Je ne savais pas vraiment à qui je vendais mes livres, et cela représentait un véritable problème. Comment parler de nos ouvrages ou élaborer une stratégie commerciale sans une idée précise de la cible à laquelle on s'adresse ? Ce manque de clarté était lié à la diversité de notre catalogue, qui mêlait des romans, des récits documentaires, des écritures de terrain, etc. Ce corpus commun était volontaire mais rendait le lectorat assez indéfini. J'ai donc compris qu'il fallait à la fois segmenter nos publications pour s'adresser à des publics spécifiques et adopter des stratégies adaptées à chaque segment, que ce soit en direction des libraires ou des lecteurs. Et concentrer nos efforts sur les deux segments les plus forts du catalogue, la fiction contemporaine avec la collection Ogresses et l’écriture de terrain avec la collection Luciole.

« Rendre nos couvertures plus orientées vers le lecteur »

Pourquoi avez-vous décidé de créer des collections distinctes ?

En segmentant les publications, j'ai réalisé qu'il ne s'agissait pas uniquement de connaître le lectorat, mais aussi d'une question de métier et de chaîne du livre. Si l'on veut publier à la fois de la fiction et du récit documentaire, par exemple, il faut être capable d'adopter des approches distinctes, que ce soit pour la communication, la diffusion ou la mise en rayon. Cette nécessité m'a convaincu de structurer notre catalogue en collections bien définies, afin de clarifier notre discours et nos méthodes de travail.

Quels changements avez-vous opérés sur le plan graphique ?

À force de discuter avec des libraires, je me suis rendu compte que nos couvertures étaient probablement trop abstraites. Certes, elles reflétaient une identité forte et véhiculaient une esthétique "indépendante" ou "soignée", mais elles n’étaient pas assez évocatrices. Elles ne parlaient pas suffisamment au public. Nous avons donc entrepris un travail pour rendre nos couvertures plus orientées vers le lecteur, avec un message plus clair et plus accessible.

Comment décririez-vous votre évolution dans la manière de présenter vos livres ?

Au début, notre discours sur la maison d’édition et sur les livres était trop personnel, presque instinctif, comme un partage passionné sur un blog. Cela manquait de structure et ne s’adressait pas réellement à un public identifié. Il s’agissait d’une démarche passionnée et sincère mais peu lisible, car nous ne construisions pas un discours adapté aux attentes d’un interlocuteur précis. Nous travaillons désormais à définir un discours plus clair, plus maîtrisé, en disant peut-être moins, mais de manière plus percutante.

« Les libraires ont moins de temps disponible »

Quelles évolutions du marché vous ont poussé à adapter votre métier ?

Publier un livre en 2024 est très différent de le publier en 2010. Le marché a profondément changé, notamment après le Covid. Par exemple, les libraires ont moins de temps disponible pour une surdiffusion qui est toujours plus chronophage. Leur charge de travail a augmenté, leurs marges sont plus serrées, et ils sont très sollicités. Pour capter leur attention aujourd’hui, il faut être constamment sur le terrain, faire un travail de dentelle, ce que j’ai eu moins l’occasion de faire à cause de contraintes personnelles et professionnelles.

Il en va de même pour les journalistes. Si nous envoyons jusqu’à 200 services de presse pour un roman, la couverture médiatique obtenue est bien moindre qu’il y a cinq ans. Cela m’a poussé à repenser notre manière de travailler, notamment en développant les partenariats avec des festivals littéraires, qui sont essentiels pour fédérer un public, offrir une visibilité durable aux ouvrages et renforcer les liens entre auteurs et lecteurs.

Comment avez-vous travaillé sur l’image et l’identité de votre maison d’édition ?

Au départ, notre catalogue était parfois perçu comme trop littéraire, expérimental ou élitiste. Ce n’était pas intentionnel, mais cela reflétait un certain amateurisme des débuts. Aujourd’hui, je tiens à mettre l’accent ce qui fait le ciment du catalogue depuis ses débuts, à valoriser une dimension émotionnelle, sensorielle et ludique dans la fiction. Il fallait donc corriger ce décalage en structurant le catalogue et en clarifiant notre positionnement. Par exemple, en montrant que nos livres, même quand ils sont plus exigeants, s’adressent à un lectorat large grâce à leur universalité et leur richesse sensorielle.

Qu’est-ce qui vous rend optimiste pour l’avenir ?

L’exercice de refonte de l’Ogre après 10 ans de publication était indispensable et je suis convaincu qu’il portera ses fruits. Mais il ne permettra pas à lui seul de gommer les effets de la crise que traversent actuellement les acteurs et actrices du livre indépendant. Cette pause de publication m’a également permis d’observer et de participer à certaines initiatives et réflexions sur le livre indépendant qui permettent d’envisager l’avenir de manière collective et engagée, ce qui me rend d’autant plus optimiste.


 [Lb1]ca ne s’est pas fait tout seul donc je trouve ca pas mal de le rappeler ici

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