« Les bibliothèques et les librairies sont souvent au centre des villes. Nous allons expérimenter l'ouverture de bibliothèques ou de librairies au sein du logement social, dans les ‘quartiers politiques de la ville’. (…) Ce dispositif nouveau vise à apporter le livre au plus près des publics, en particulier ceux éloignés de la lecture”, annonçait la ministre de la Culture Rachida Dati dans une interview aux Echos du 12 avril.
Expérimenter ? Nouveau ? A Bordeaux, la plupart des bibliothèques se trouvent en quartier prioritaire de la ville, remarque leur directeur Yoann Bourion. Et elles offrent les mêmes documents que les autres, grâce à un système de navette.
S'intégrer dans le tissu local
Une différence est toutefois à noter avec les zones urbaines moins pauvres : « Il y a une attention particulière aux projets partenariaux et à l'implication des usagers dans la vie de la bibliothèque. Les relations sont très étroites avec le service du développement social et urbain, notamment par rapport à des problématiques d'incivilités dans nos structures », indique Yoann Bourion. Ces bibliothèques sont aussi un lieu important pour aider la population dans les démarches administratives et apprendre les rouages de l'informatique. « Les usagers se sentent presque chez eux et attendent beaucoup des bibliothécaires, comme des couteaux suisses capables de résoudre les problèmes de la vie quotidienne. »
Mais il arrive que les bibliothécaires ne soient pas bien perçus quand ils arrivent sur le territoire d’un gang, rapporte un autre professionnel, qui raconte son expérience de bibliobus dans une métropole : « Dès qu’on a su où était la frontière invisible sur la place où on s’était garés, on a compris qu’il n’y aurait pas de problème », rapporte-t-il.
Mieux qu'une structure ex-nihilo
Alors quel est le meilleur moyen d’investir ces quartiers ? S’installer au pied d’HLM est une idée pertinente, pour Yoann Bourion. « C'est un peu moins vrai lorsqu'on construit une structure ex-nihilo qui représente alors à tort ou à raison la culture institutionnelle (voire légitime). Dans le quartier des Aubiers, la bibliothèque de Bordeaux-Lac est en pied d'immeuble. De part son intégration extrême dans le paysage urbain et le travail de fond des bibliothécaires, elle bénéficie d'une forme de protection et n'a jamais subi de dégradations même lors d'émeutes urbaines. »
« La proximité physique, ça joue, rejoint le sociologue Claude Poissenot.Cela ne suffit pas à aller chercher les lecteurs où ils sont, mais peut y contribuer. »
Reste à multiplier ce modèle dans d’autres villes, en convaincant collectivités et bailleurs sociaux. “Caramel, bonbon et chocolat”, commente une bibliothécaire sur Facebook, faisant référence à Dalida chantant “Paroles paroles”. Encore des mots, toujours des mots.
Attention aux librairies déjà installées
Quid des librairies ? Il n’y en a aucune dans ces quartiers. Comme à Rillieux-la-Pape, en banlieue lyonnaise, où la ministre veut lancer une expérimentation.
Mais globalement, « très nombreuses sont les librairies à être déjà implantées sur les territoires visés par la ministre », observe Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF). Surtout depuis 2019, avec une vague inédite de création de nouvelles librairies, plus de 500 en cinq ans. « Plus de la moitié de ces créations ont été réalisées dans des villages, des bourgs, des petites villes de moins de 20 000 habitants ou dans des banlieues de grandes villes. La priorité, aux yeux du SLF, est de consolider cet existant, les librairies implantées de longue date ou plus récemment ayant toutes en commun d’avoir une économie fragile qui peut être rapidement déstabilisée par des créations de librairies concurrentes subventionnées », alerte-t-il.
Un marché pour les librairies ?
Et dans les quartiers sans librairie donc sans problème de concurrence, une nouvelle implantation demande réflexion, ajoute-t-il. « La création de nouvelles librairies peut être pertinente mais il faut auparavant analyser le marché potentiel afin de s’assurer de la viabilité du projet, de l’absence d’impact négatif sur les librairies existantes et de la possibilité de trouver des libraires prêts à investir dans ces projets. L’expertise des DRAC, du CNL, mais également des associations de libraires, des structures régionales du livre et de l’ADELC devra impérativement être sollicitée afin de s’assurer de la viabilité et de l’utilité des projets. »