En France, les librairies indépendantes sont les premiers fournisseurs des bibliothèques. En partie grâce à une disposition légale qui depuis 2016 vise à favoriser leur accès au marché public, pour maintenir un réseau dense de distribution du livre. Concrètement, comment ça marche ?

Aux Pays-Bas et au Luxembourg, les librairies sont complètement écartées des marchés publics passés par les bibliothèques. En Allemagne, des contrats sont remportés par des librairies à l'autre bout du pays. Une situation que déplorait la Fédération des libraires européens (EIBF), dans un rapport publié en février. « Pour un libraire, quelle que soit sa taille, l'obtention d'un ou de plusieurs marchés lui permet d'augmenter son chiffre d'affaires et d'ainsi mieux amortir ses charges fixes », pose le délégué général du Syndicat de la librairie, Guillaume Husson. « Pour les bibliothèques, les librairies indépendantes sont une richesse. Nous avons besoin de leurs connaissances et liens avec les éditeurs, et de la diversité de leur catalogue », loue Virginie Delaine, directrice des bibliothèques de Vienne et formatrice sur le sujet. « Les bibliothèques et leurs collectivités ont intérêt à ce que leurs budgets d'acquisition de livres bénéficient à des acteurs locaux qui jouent un rôle important en termes d'animation culturelle et d'emploi sur le territoire », complète Guillaume Husson.

L'État français y est sensible, et a abaissé en 2016 à 90 000 € le seuil du marché public au-dessus duquel les bibliothèques doivent mettre en concurrence des fournisseurs de tous horizons qui se porteraient candidats. En dessous, les bibliothèques peuvent publier leur marché public auprès de quelques libraires seulement, alors favorisés. Pour ne pas dépasser ce seuil, l'astuce de la ville de Vienne a été de raccourcir la durée des marchés à un an, contre quatre auparavant, ce qui lui faisait dépasser le seuil de 90 000 €.

Et pour travailler avec les trois librairies de la ville, il suffit de diviser le marché en trois lots : un lot BD pour la librairie spécialisée, un lot généraliste pour la grande librairie qui dispose d'un employé dédié aux commandes publiques, et un lot à l'échelle de la petite librairie généraliste. « C'est en accord avec elle : elle n'a pas le temps de nous fournir davantage de livres. Conclure un marché, c'est un dialogue », précise Virginie Delaine. Un dialogue plus rare depuis que les bons de commande passent par internet, regrettent les professionnels des deux bords... « Nous sommes justement en train de réfléchir à organiser des visites en librairie. Le temps perdu à aller sur place, c'est autant de gagné grâce aux conseils du professionnel présent. »

Deuxième astuce pour favoriser la librairie du coin : exiger une proximité géographique, ce qui permettrait du même coup d'inscrire un critère environnemental comme l'exigera la loi Climat et résilience en 2026 ? Impossible, car c'est un critère discriminatoire (à distinguer de « discriminant ») : un marché public ne peut éliminer d'emblée un fournisseur. La bibliothèque doit juger ses candidats sur des critères communs. Comme la qualité de la gestion de commande (combien d'employés y sont affectés ?) ou encore les modalités de transport entre la librairie et la bibliothèque (mobilité douce)...

Finalement, la meilleure manière de favoriser la PME de proximité n'est pas de multiplier les critères qui tenteraient avec bienveillance de se rapprocher des caractéristiques de cette librairie, mais d'inscrire le moins de caractéristiques possibles dans le cahier des charges. « Les libraires sont des gens débordés ! Plus on fait simple (notre cahier des charges fait deux pages), plus c'est facile pour eux d'y répondre », précise Virginie Delaine. Comme le rappelle Guillaume Husson, « il faut garder en mémoire que les marchés publics génèrent pour les libraires une marge très réduite puisqu'il leur faut rétrocéder, sur le prix de vente public, 9 % de rabais aux bibliothèques, auxquels s'ajoutent 6 % au titre du droit de prêt et les frais afférents (livraisons, préparation des cartons...). Soit au total près de la moitié de la marge commerciale du libraire, ce qui devient de moins en moins supportable. » La profession réclame alors un alignement du rabais aux bibliothèques sur celui consenti aux particuliers, soit 5 %. « Le surcoût serait marginal pour les collectivités, alors que le gain de marge serait très significatif en librairie. »

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