"Les difficultés que présente l’accueil du public sont d’abord d’ordre sanitaire, sur la distanciation sociale et sur le retour des documents, pour les agents et pour le public, relève Gilles Eboli, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon. La distanciation sociale implique de travailler dans la durée, offre par offre, sur le prêt/retour, la consultation et la vie sur place et les rendez-vous culturels". A ces problématiques de sécurité viennent s'ajouter des enjeux de logistique liés au protocole sanitaire d'accès aux collections et à la mise en quarantaine pour désinfection, de 10 jours en moyenne, des ouvrages empruntés.
Partout en France, les bibliothécaires réfléchissent aux mesures à prendre pour faciliter et fluidifier l'accueil du public. La plupart se basent sur les recommandations générales du protocole national de déconfinement publié par le gouvernement et les instructions plus spécifiques des associations professionnelles relayées sur le site biblio-covid. Pour les professionnels interrogés par Livres Hebdo, le principal enjeu sera celui de la fréquentation, moins simple à gérer qu'il n'y paraît.
Jauger l'affluence
A l'Université d'Angers, la réouverture complète des bibliothèques au public d'étudiants et chercheurs n'est pas prévue avant la mi-août, mais la direction anticipe déjà la reprise de septembre. La capacité d'accueil sera limitée à 300 personnes, soit un tiers de la fréquentation habituelle. "C'est un virage à 180 degrés pour nous qui avions l'habitude d'accueillir le plus de monde possible, constate Nathalie Clot, directrice des bibliothèques et archives de l'université d'Angers. Cela pourra poser un problème moral, car il faudra effectuer un tri pour attribuer ces 300 places. Sur quelles modalités ? Du tirage au sort ? Des critères académiques ? Ou bien est-ce que le premier arrivé sera le premier servi ?"
A l'université Lyon 1, le responsable du système d'information documentaire, François-Xavier Boffy, envisage le recours à une solution technique de comptage d'entrées et sorties si la situation sanitaire ne s'améliore pas d'ici la rentrée. La bibliothèque universitaire de Lyon 1 travaille avec le cabinet Affluences, qui propose à ses clients un dispositif permettant de jauger la fréquentation en temps réel grâce à des portiques RFID ou l'utilisation de caméras. "Mais dans un premier temps, le respect de la limite serait vraisemblablement pris en charge par les personnes en position de surveillance des entrées", précise le fonctionnaire.
Savoir s'adapter
Le deuxième grand enjeu sera celui de la maîtrise de l'espace, afin de réduire la fréquence des contacts entre les personnes présentes dans l'établissement, usagers et personnels confondus. Les directions devront faire preuve d'ingéniosité pour appliquer les recommandations sanitaires aux particularités des locaux. "Le maître-mot sera adaptabilité, anticipe Catherine Dupouey, directrice des médiathèques d'Antony, qui ne prévoit pas une réouverture au public avant le 30 mai. Dans la bibliothèque, nous pensons mettre en place un circuit et utiliser l'escalier de secours de sorte que les usagers ne se croisent pas en montant et descendant les étages. Dans l'espace presse, on supprimera un fauteuil sur deux. Même chose dans l'espace numérique où l'on retirera un ordinateur sur deux."
La municipalité d'Antony a par ailleurs mis en place un roulement des équipes, scindées en deux, par mesure de précaution. Dans l'éventualité où l'un des bibliothécaires tomberait malade du Covid-19, conduisant à la mise en quarantaine de ses collègues en poste, la continuité du service sera assurée par la relève. "C'est une mesure stratégique, mais le service à mi-équipe risque d'augmenter la charge de travail, déjà accrue en cette période", souligne Catherine Dupouey. Les bibliothécaires feront également un ménage à la mi-journée sur les surfaces de contact, rampes d'escalier, boutons d'ascenseur, poignées de porte...
Discipline
D'après les recommandations du gouvernement, le respect de la distanciation sociale dans les espaces clos nécessite que chaque personne dispose d'un espace minimum de 4m². Pour assurer une liberté de mouvement suffisante aux usagers, Nathalie Clot, de l'université d'Angers, prévoit de retirer les deux tiers du mobilier pour le remplacer par du marquage au sol et un meilleur balisage des places assises.
"Il est très compliqué de faire en sorte que les usagers respectent les places auxquelles ils sont assignés. D'ordinaire, cela ne pose pas de problème, mais dans la situation actuelle il faudra faire attention à ce que chacun reste dans les clous. C'est un grand changement pour nous, d'un espace de liberté, la bibliothèque devient un espace de contrainte, avec ce que cela implique pour le personnel qui, avec réticence, devra faire de la régulation", regrette la responsable.
Les pistes évoquées par les bibliothécaires sont encore au stade d'ébauches. Les plans de réouverture au public doivent encore être discutés avec le personnel et validés par les municipalités ou les directions d'université, pour une mise en place à la fin du printemps ou au cours de l'été.
En attendant, pour rapatrier les milliers de livre en circulation qui seront placés en quarantaine pour désinfection, une bonne partie des établissements se rabattent sur des guichets de retours, et parfois d'emprunt sur un mode "drive". Une expérience "vraiment inédite pour les bibliothèques", d'après Isabelle Westeel, directrice de la bibliothèque de Grenoble, dont il sera "intéressant de faire le bilan lors de la réouverture au public".