« Encore un effort ! On y est presque ! », exhorte tout entraîneur, enseignant ou coach de vie... Tout tient dans l'adverbe qui comprend ce chouïa d'espace avant la ligne d'arrivée, cet interstice temporel qui nous sépare de l'heure de gloire. Allez ! Un dernier coup de collier et on la franchira la ligne.
Presque, cet adverbe plein de promesses, est le titre de l'autofiction sous forme de roman graphique de Cathy Karsenty. Autant roman que graphique : entre narration façon grosse légende et dessins aux dialogues dans des phylactères, l'illustratrice déroule avec un sens bien aiguisé de l'humour son curriculum vitæ de l'intérieur. Ce point de vue intime où dans le for de la conscience, on convoque soi et soi-même, on appelle à la barre ses rêves, ses fantasmes, ses peurs et les confronte au réel.
De la petite fille à la femme adulte, le lecteur suit la narratrice auto-portraiturée. Bouille ronde et paire d'yeux tout aussi ronds, cheveux raides mi-longs avec sa sempiternelle marinière, elle évolue sans vieillir, comme Tintin. Avec, certes, plus de libido et traversée de plus d'interrogations métaphysiques (synonyme : névroses) que le reporter belge à houppette. Cinéma et ses théories rasoir, télévision (les rayures de la marinière, à l'écran, ça ne passe pas !), journalisme en tant que pigiste... Cathy Karsenty a tout fait ou voulu faire. Même une psychanalyse. Les infructueuses séances sur le divan sont à mourir de rire.
Ainsi se déclinent les saisons de la vie avec l'adverbial intrus dans l'intitulé de chaque chapitre : « J'ai presque rencontré mon père » ; « Je suis presque sortie avec Jean-Paul D. » ; « J'ai presque fait du cinéma » ;« J'ai presque fait une psychanalyse » ; « presque enceinte » ; « presque juive »... L'épisode, où la jeune Cathy s'éprend à « l'interclasse, entre son cours de maths et mon cours de l'histoire de l'art » du garçon au blouson orange, est un pur sketch du râteau à l'âge des amours adolescentes. D'autres saynètes, sous le sourire qu'elles nous tirent, semblent dissimuler des cicatrices douces-amères. N'est-elle toujours pas cette fillette sans papa qui demandait à tous les hommes que sa mère lui présentait s'ils voulaient bien être son papa (« Je continue, je crois ») ? Elle a été l'amoureuse en couple qui aurait bien eu un bébé... Ces moments délicats, l'autrice réussit à les désamorcer avec l'intelligence mûre de qui sait garder une grâce tout enfantine. Comme son personnage, Cathy Karsenty ne vieillit pas.
Presque
Seuil
Tirage: 5 500 ex.
Prix: 17 € ; 152 p.
ISBN: 9782021463415