Song of Sam. Le braquage tourne mal. Pourtant, Christian Roux en connaît un rayon question braquages. C'était d'ailleurs le titre de son premier roman (aux éditions du Serpent à Plumes) et l'une des mémorables révélations de l'année 2002. Suivront Les ombres mortes, Kadogos ou Adieu Lili Marleen (Rivages, 2005, 2009, 2015), tous cristallisés autour de personnages socialement petits et humainement grands. Cette fois, c'est Sam qui tient la barre d'une affaire de famille qui prend l'eau. Elle en est sortie depuis longtemps, Sam, des vagues viciées dans lesquelles les plans tordus de son paternel l'ont bringuebalée depuis l'enfance. Fille de braqueur, elle est entrée dans la carrière dès son plus jeune âge, options conduite sportive et mécanique à l'avenant étudiées sur le tas. Elle a fait ses gammes, participé, pour le pire et le encore pire. Elle a été de toutes les sales embrouilles, dans les jupes d'un père tocard, à défaut de celles d'une mère emportée de longue date par les volées de plomb d'un xième casse foireux. Sam a volé, escamoté, fourgué, braqué des banques ou des volants, pied au plancher toujours. Jusqu'au jour où l'ultime coup en question et l'étriqué champ des possibles tournent au carnage. À 20 ans, Sam y perd son unique petit copain et le reste de ses illusions. Elle jette l'éponge et quitte le ring.
Après quelques méandres marécageux dont nous ne savons rien, on la retrouve patronne d'un petit garage borgne du côté de Cassis. Mais voilà que les ennuis chassés reviennent au galop, tel un naturel indélébile, dès que Franck, complice éternel de l'aïeul de Sam repointe le bout de son néfaste nez. Pour apurer les dettes de son vieux, quasi grabataire, anoxique et aux abonnés absents, elle doit reprendre des pistes aussi chaotiques et caillouteuses que la voix de Tom Waits dont les mélodies rêches ponctuent les chapitres de la cavale. Si l'auteur de Blue Valentines ou Jersey Girl envoûte l'espace sonore, on se doute bien que tout ça ne va pas finir en chanson, ni « sur la route de Memphis » chère à Eddy Mitchell, ni sur celle qui relie Clermont-Ferrand à Saint-Amand-Montrond, avec Le Havre en ligne de mire. En chemin, des fantômes apparaissent sur la bande d'arrêt d'urgence. Ils se nomment Julie ou Nicole, attendant dans leurs robes blanches qu'un amour, poussé dans les régimes, les prennent en stop pour leur parler d'autre chose que d'un hier qui « ressemble un peu à un dimanche ». Restons dans le flou fantasmagorique, pour ne pas tout dire, si ce n'est que Christian Roux met du sien dans Fille de. L'auteur, également homme de théâtre et musicien dont nous recommanderons l'album Défardé paru en 2007, signe là l'une des plus personnelles pages de sa biographie polymorphe. En fil rouge transpire chez lui une fidèle et vraie tendresse pour ses héroïnes, même s'il leur mène la vie dure, sous des ondées de mots rugueux, sous le joug d'échecs à répétition, scolaires, familiaux, sociétaux, amoureux... Et ce n'est pas « dans une Rolls blanche » que s'éclairciront les derniers kilomètres de bitume, vers un horizon qui n'est plus, mais dans une DS Citroën de la même teinte virginale et millésimée. D'un geste de la main, que ses rétros nous renvoient, nous souhaitons bonne chance à Sam.
Fille de
Rivages
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 160 p.
ISBN: 9782743662288