« La situation est violente pour le maillon fragile de la chaîne du livre que nous sommes. Les chiffres laissent à penser que Rue du monde s’achemine vers une baisse de 30 à 40% des ventes de livres sur 2020 comme la plupart de nos confrères », s’inquiète t’il rappelant que « les libraires et les éditeurs indépendants des grands groupes ne tenaient déjà qu’à un fil ».
« Il me semble que cette situation est l’occasion de repenser beaucoup de choses, pour défendre le bijou culturel que représente notre secteur », explique à Livres Hebdo l'éditeur qui en appelle à l’ensemble de la chaine du livre comme aux pouvoirs publics. « Certes les aides ponctuelles sont très importantes mais il faut mettre en place un plan de relance ambitieux pour le livre jeunesse, notamment à l’école ».
Cinq « bulles d’air »
Dans cette optique et face à l’ampleur de la crise, qui touche aussi bien les libraires, éditeurs, auteurs, illustrateurs ou encore imprimeurs, Alain Serres propose « 5 bulles d’air urgentes » sous forme de questions/réponses aux principales inquiétudes de la profession tout en mettant « la barre haut pour une ambition culturelle exigeante et justement partagée ». Des propositions déjà émises dans certains cas par les éditeurs indépendants et régionaux.
- Comment financer les prochains projets alors que les recettes d’avril sont à zéro et que le chômage partiel n’a pas encore été payé pour le mois de mars ? « Nous avons besoin d'un vaste plan public d'acquisition de livres. Des enveloppes exceptionnelles allouées par les régions aux lycées pour acheter des livres récents et par les Conseils départementaux, aux CDI des collèges et aux Bibliothèques départementales qui irriguent les territoires ».
- Comment les petites éditeurs vont-ils réussir à ne pas supprimer d’emploi dans leurs équipes de 3 ou 4 salariés face aux doutes sur un redémarrage des ventes ? « Au plus près des enfants, les maires ont les clés des bibliothèques municipales et des écoles. Il faut notamment que cesse cette érosion régulière qui ronge chaque année les budgets d'acquisitions et d'animation dans de plus en plus de médiathèques. Les élus locaux ont un rôle décisif à jouer pour que, dans leur commune, la lecture soit une fête qui n'exclut personne. C'est une des missions majeures du service public parce qu'elle fonde la démocratie »
- Comment poursuivre nos efforts pour maintenir dans nos stocks et notre catalogue les titres du fonds à faibles ventes annuelles ? « Les ministères de la Culture et de l'Education doivent décider de dotations exceptionnelles pour que les écoles du pays deviennent véritablement des écoles du livre et de la lecture. C'est l'occasion de redonner des moyens aux BCD (bibliothèques du cycle élémentaire) qui s'essoufflent dans trop d'écoles maternelles et primaires. Les listes conseils ne suffisent plus ! Il faut des livres, en nombre, des formations et des moyens humains pour les faire vivre. Ce serait une action-ricochet qui contribuerait aussi à relancer toute la chaîne du livre, des auteurs aux libraires, des imprimeurs aux petits éditeurs »
- Comment les petits éditeurs vont-ils avoir assez de trésorerie pour régler toutes leurs factures et charges tout en continuant à promouvoir leurs productions ? « Parce que rien ne remplace un vrai livre que l'on possède, il faut que des chèques-lire arrivent massivement dans les familles qui en ont besoin. Ils permettraient à beaucoup de découvrir le chemin de la librairie. Il faut que les CAF, mais aussi les comités d'entreprise, les élus territoriaux, offrent régulièrement des livres, pour marquer les événements de la vie de l'enfant. Des cadeaux symboles souvent porteurs de sens sur le vivre ensemble, les enjeux planétaires ou tout simplement du bonheur de devenir, un jour, un adulte lecteur »
- Comment le réseau des libraires va-t-il s’en sortir indemne et même parvenir à se densifier ? « N'est-ce pas enfin le moment de prendre des mesures techniques attendues depuis longtemps comme des tarifs postaux pour les livres alignés sur ceux de la presse ou comme ces encouragements financiers qui accompagneraient les éditeurs faisant le choix d'imprimer en France à un coût bien supérieur aux devis venus de Chine ou de Malaisie ? ».
Parallèlement, "et pour la première fois en 25 ans", la maison va lancer "un appel à tous ceux qui sont attachés à l'indentité originale que nous avons construite". " Nous n'allons pas faire la quête mais battre le rappel pour que les gens achètent nos livres : leur soutien va être la clé de nos prochains mois " précise Alain Serres.