19 janvier > Roman Etats-Unis > Edward Lewis Wallant

Il aurait pu être le chaînon manquant dans la longue et glorieuse lignée des grands romanciers judéo-américains du siècle dernier. Quelque part entre le meilleur Malamud et le premier Roth, disons. Il avait tout pour ça, le talent d’abord, bien sûr, la belle gueule de l’emploi, la jeunesse, et déjà un passé de soldat dans le Pacifique, puis de directeur de publicité à New York. Il aurait pu, il aurait dû, mais Edward Lewis Wallant, mort à 36 ans, en 1962, d’une rupture d’anévrisme, ne sera jamais le romancier qu’il promettait d’être. Tout juste un de ces auteurs cultes dont le destin vaut approbation pour quelques "happy few" confits en dévotion.

Seulement voilà, dans ce cas d’espèce, le "denier du culte" n’a pas tort. Il suffira pour s’en convaincre de lire cet impeccable Moonbloom, un de ses quatre romans, inédit jusqu’à ce jour en français (un seul, adapté au cinéma par Sidney Lumet, a été traduit en 1983, son premier, Le prêteur sur gages, qui reparaît à cette occasion chez Points), par lequel les avisées éditions du Sous-sol espèrent convertir les lecteurs français au charme puissant de Wallant.

De quoi, ou plutôt de qui s’agit-il ? D’un homme sans qualités, doux et triste rêveur, Norman Moonbloom. "Il s’était enivré à l’idée de Dieu mais n’avait trouvé que la théologie. Il s’était plusieurs fois envolé sur les ailes légères mais puissantes de la luxure, s’attendant à des merveilles, mais n’avait jamais connu que l’éjaculation. Avec un espoir fou et le cœur palpitant, il avait essayé de se faire des amis mais s’était rendu compte que personne n’avait vraiment compris ce qu’il avait en tête." En attendant de trouver un hypothétique sens à sa vie, Norman fait passer le temps en collectant les loyers dans deux ou trois immeubles new-yorkais appartenant à son frère aîné. Une façon comme une autre pour lui de se frotter au réel. Il en reviendra nanti d’autres vies que la sienne et de quelque chose qui se rapproche au plus près de ce qu’il serait convenu d’appeler un destin.

Dans cette "vie mode d’emploi" pour quelques outsiders de Big Apple, Wallant déploie en virtuose ses dons pour l’observation. L’humour ici cède la place à l’humanité la plus poignante et ce roman posthume se colore d’une troublante mélancolie. O. M.

Les dernières
actualités