Avant-critique Roman

Retour au pays natal. Dans une vie de lecteur, les noms de certains personnages s'effacent dès la dernière page tournée quand d'autres perdurent et reviennent nous hanter. Celui d'Eilis Lacey fait partie des inoubliables. Dans Brooklyn (Robert Laffont, 2011), le lecteur la rencontrait à Enniscorthy, petite ville du Sud-Est d'une Irlande qu'elle allait quitter, comme de nombreux Irlandais dans les années 1950, pour émigrer aux États-Unis. Sa sœur aînée Rose et le prêtre de la paroisse l'y avaient encouragée. Eilis était revenue, un été, pour l'enterrement de Rose. Elle s'était alors laissé aimer par Jim Farrell, le tenancier d'un pub, bien qu'elle se soit mariée, en secret, à Brooklyn, à Tony Fiorello, un immigré italo-américain. À la fin de l'été, elle était rentrée à New York sans un mot pour Jim, et s'était installée avec Tony.

Vingt ans ont passé quand s'ouvre Long Island. Eilis est mère de deux adolescents et vit dans une allée de Long Island, sa maison jouxtant celles de la mère et des frères de Tony. Après l'exil, Eilis a suivi l'exode des centres-villes vers les banlieues. Un jour, alors qu'elle est seule chez elle, un inconnu frappe à sa porte et lui apprend que son mari, plombier, « a fait un boulot de plomberie si efficace » que sa femme est enceinte de lui. Ils ne garderont pas le nourrisson, qui sera déposé devant la maison de Tony et Eilis. « À moins que cette visite ait été un malentendu, une part de sa vie venait de prendre fin. » Eilis refuse catégoriquement d'accueillir l'enfant sous son toit. Mais dans cette famille italo-américaine très soudée, son avis compte peu. Sa mère, qu'elle n'a pas vue depuis vingt ans et qui ne connaît pas ses petits-enfants, s'apprête à fêter ses 80 ans. L'occasion pour Eilis de revoir Enniscorthy.

Long Island n'est pas le récit du retour de l'enfant prodigue parti tenté sa chance en Amérique. L'accueil - glacial - que la mère d'Eilis réserve à sa fille aurait probablement été différent si elle avait été un garçon. « C'était le même papier peint, les mêmes rideaux, le même vieux lino, les mêmes tapis râpés, les mêmes couvertures et édredons sur les lits », note Eilis en retrouvant la maison qui l'a vue grandir. Les sentiments de Jim à son égard eux non plus n'ont pas changé. Alors qu'il est sur le point d'emménager avec Nancy Sheridan, l'ancienne meilleure amie d'Eilis, le retour de celle qu'il n'a jamais réussi à oublier vient raviver une flamme dont l'ardeur éloigne peu à peu Eilis de ce qu'elle a quitté aux États-Unis.

À l'instar de son exil en Amérique, le retour d'Eilis en Irlande est lié à des circonstances indépendantes de la volonté de cette femme qui semble à bien des égards ballottée par les événements - comme nous le sommes tous, à différentes échelles. La dernière partie de Long Island démontre qu'il n'en est rien, et que tout ce qu'Eilis a vécu, intériorisé, et tout ce que Colm Tóibín a subtilement distillé, entre détails et non-dits, agit comme un précipité, comme une réaction chimique à la fin de laquelle une vie nouvelle s'est cristallisée.

Colm Tóibín
Long Island
Grasset
Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson
Tirage: 13 000 ex.
Prix: 23 € ; 400 p.
ISBN: 9782246836209

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