Livre monstrueux
Rédigé entre 1924 et 1925, Mein Kampf (« Mon Combat » en allemand), brûlot raciste, antisémite et programmatique d’Adolf Hitler, qui s’est trouvé huit ans plus tard, en 1933, en position de réaliser sa vision génocidaire, est à bien des égards un « livre monstrueux », a rappelé Sophie de Closets. Si sa maison d’édition a décidé de publier cette édition critique, c’est que le livre est déjà accessible en un clic sur Internet, dans une traduction « fautive » datant de 1934. « La science doit primer sur la démagogie, sur le complotisme, le populisme et l’obscurantisme », a-t-elle expliqué.
Son nouveau traducteur, Olivier Mannoni, a voulu revenir à la lettre de « cette écriture circulaire qui revient sans cesse sur elle-même, hypnotique par sa confusion même ». Cette « écriture torturée et maladroite, confuse », ce texte « mal écrit car mal pensé » en redevient paradoxalement « plus difficile à lire mais plus authentique », a indiqué le traducteur.
Un bouclier protecteur
Pour ne pas laisser la parole à Hitler seul, sa propagande a été littéralement « encerclée » par un appareil critique très imposant : une longue introduction générale, 27 introductions de chapitres et près de 3 000 commentaires qui enchâssent le texte. « Aucune ligne n’est laissée à l’abandon. Les notes ne sont pas laissées à la fin de l’ouvrage (où peu de gens iraient les lire, sauf les érudits) mais entourent le texte d’Hitler comme un bouclier protecteur. Le lecteur n’est jamais laissé main dans la main avec Hitler », estime Serge Klarsfeld, président de l’Association des Fils et Filles de déportés juifs de France, qui exprime sa reconnaissance à l’équipe éditoriale et rappelle qu’ « il faut prendre les démagogues et extrémistes au sérieux et ne jamais les sous-estimer ».
Sur commande
L'ouvrage « est avant tout un ouvrage d'histoire, qui s'adresse aux chercheurs, aux enseignants, aux formateurs d'enseignants. Il devrait donc d'abord et surtout être consulté en bibliothèque, et notamment dans des bibliothèques universitaires et de recherche », a précisé Sophie de Closets. Fayard a lancé un premier tirage d'une dizaine de milliers d'exemplaires, et dont un millier a été mis de côté pour les bibliothèques.
Les représentants n’ont pas prospecté les libraires. L’ouvrage ne sera pas mis à l’office, mais disponible sur commande, à partir du 26 mai. Mais rien n’empêchera un libraire d’en commander de nombreux exemplaires et d’en mettre en pile ou en vitrine. La totalité des potentiels bénéfices sera reversée à la Fondation Auschwitz-Birkenau, qui entretient le site de l’ancien camp d’extermination nazi.
Pour Florent Brayard (CNRS), qui a piloté le comité d’historiens, cet ouvrage doit « permettre de comprendre comment le nazisme a été possible, comment la Shoah a pu être conçue et préparée » et « le caractère ignominieux de l’idéologie qu’il promeut ». Les notes visent à contextualiser le texte original, de détailler les stratégies de mensonges et de manipulations et de faire le lien entre l’exposé programmatique et l’Histoire. « Il permet de déconstruire le discours Hitlérien », son texte « complexe, redondant et répulsif », juge l’historien, qui assure que « le lecteur apprendra beaucoup » en perçant « ses structures, ses failles, ses impasses et ses inconsistances ».
Cet ouvrage de grand format, pesant près de 4 kg pour un millier de pages, se présente avec une couverture blanche très sobre, comme l'édition allemande de 2016. Il n'aura pas d'édition numérique.