Alors que les discussions budgétaires se poursuivent au Parlement, l’exécutif cherche à économiser cinq milliards d’euros supplémentaires sur le projet de loi de finances 2025, selon une note gouvernementale révélée par Télérama, prévoyant de raboter 10 millions d’euros sur le budget du Pass culture. Marqueur fort de la politique culturelle d’Emmanuel Macron, ce dispositif est financé par l’État à hauteur de 247 millions d’euros, dont 37 par le ministère de l’Éducation nationale pour sa branche « collective », et 210 pour le ministère de la Culture pour sa branche « individuelle ». C’est cette dernière enveloppe qui serait, à ce jour, amputée. Mais rien n’est encore joué.
Le spectacle vivant, parent pauvre du Pass Culture
Le dispositif du Pass Culture a, dans un premier temps, été accueilli avec enthousiasme avant d’être critiqué par certaines voix pour ne pas avoir atteint son objectif ambitieux d’universalisme. Il doit déjà être réorienté en prenant en compte la conjoncture toujours plus délicate des finances publiques.
Le constat qui amène à cette révision ? « Le spectacle vivant est le parent pauvre du dispositif », fait-on savoir dans l’entourage de Rachida Dati, nommée ministre de la Culture en janvier 2024 avec le double objectif d’élargir l’accès à la culture en optimisant les dépenses publiques.
Problème pour les libraires : il ne faudrait pas penser qu’ils sont les « parents riches » de la mesure, qui a atteint, voire dépassé ses objectifs pour l’industrie du livre, mais dans un contexte économique toujours plus tendu pour ces commerces aux marges les plus minimes de France, avec les fleuristes.
« Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », s’exclame Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française. L’institution est mobilisée pour défendre les intérêts des libraires dans la réforme annoncée depuis le début de l’année.
Offensive de l’Igac
Dès le mois de juin, lors des Rencontres nationales de la librairie, à Strasbourg, le SLF a publié une étude complète qui démontre que 52 % des utilisateurs de pass Culture en ont profité dans une librairie indépendante et que « 62 % des jeunes ont utilisé leur crédit pour découvrir un genre littéraire qu’ils n’avaient jamais lu, soit 19 points de plus qu’en 2022 ».
Au mois de juillet, c’est l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) qui a lancé une offensive sur la forme actuelle de la mesure, mettant en exergue les « variations territoriales significatives » du taux de recours au pass ainsi que son inefficacité « à lutter contre les inégalités sociales » en matière de pratiques culturelles.
En clair, bien que le dispositif soit vertueux pour les libraires, dont les indépendants, il serait utilisé en trop grande majorité par une population qui a les moyens de ses ambitions intellectuelles pour des pratiques culturelles déjà connues. Soit exactement l’inverse de la substance du projet politique initial.
« Surreprésentation » du livre dans l’appli
Cependant, l’enquête de l’Igac constate une surreprésentation du livre dans l’application entre octobre 2023 et février 2024 : 84 % des offres présentes étaient des livres car un seul titre génère, en moyenne, 60 offres, dans différentes librairies.
Une réussite que ne remet pas en cause Rachida Dati. Dans une tribune publiée dans Le Monde juste après la présentation du projet de loi de finances pour 2025 du gouvernement, début octobre, la ministre de la Culture a rappelé « toute l’importance des librairies indépendantes » dans ce dispositif, qui vise à favoriser « la rencontre des jeunes avec ce réseau de proximité qui, pour beaucoup d’entre eux, constitue une porte d’entrée irremplaçable vers le livre et la culture ».
Selon Sébastien Cavalier, le président de la SAS pass Culture, « depuis le lancement le 21 mai 2021, il a déjà bénéficié à plus de 4,4 millions de jeunes ». Concernant le livre, il estime que « les libraires se sont très bien saisis du dispositif, qui leur a permis d’élargir et rajeunir leur base de clients. Pourquoi ceux qui sont entrés dans une librairie avec un pass n’y retourneraient pas sans ? » Et de poursuivre que ce dispositif est un « outil de politique publique, pas seulement de politique ».
Engagement des bibliothèques
D’ailleurs, le président de la structure, qui emploie 175 collaborateurs, estime que les bibliothèques devraient mieux s’approprier le dispositif. « Ce n’est pas parce que l’entrée dans une bibliothèque est gratuite que les jeunes le savent, et s’inscrire sur la plateforme permet à toutes les institutions qui sont de véritables gares de triages vers les produits culturels d’avoir une caisse de résonance auprès des jeunes », clame-t-il.
La réforme du dispositif sera dessinée en fonction du budget voté d'ici à la fin de l’année par les parlementaires. D’ici là, le SLF maintient des relations constantes avec le cabinet de Rachida Dati pour faire valoir les intérêts des libraires. « Nous sommes plutôt rassurés, certifie Guillaume Husson, mais c’est à prendre avec prudence dans la mesure où la discussion budgétaire au Parlement peut changer la donne ».
Lancé en 2016 en Italie, puis en 2021 en France et en Espagne et enfin en 2023 en Allemagne, le pass Culture a régulièrement été remis en cause dans chacun des territoires. « C’est un jeune outil qui s’est toujours adapté et qui a déjà beaucoup évolué », rappelle Sébastien Cavalier. Jusqu’à présent, jamais au détriment des libraires.