De Nantucket, l’île des baleiniers au large des côtes du Massachusetts, patrie historique d’intrépides "coureurs des mers", à San Francisco, en passant par le cap Horn et jusqu’en Alaska, Séquoias, le deuxième roman du grand reporter à l’AFP et prix Albert-Londres, Michel Moutot, raconte, du milieu du XIXe siècle à nos jours, une épopée américaine mythologique qui tient à la fois du western et des grandes aventures maritimes avec un point commun: la chasse au trésor. L’ancien correspondant à New York au moment du 11 septembre 2001 a le goût des récits en cinémascope: son premier roman, Ciel d’acier, paru chez Arléa en 2015 et prix 2016 du Meilleur roman des lecteurs de Points, s’attachait à la destinée des Indiens mohawks, ces "iron workers" embauchés dans la construction des gratte-ciel de Manhattan.
Dès la scène d’ouverture dantesque de Séquoias, écrit dans la même veine, nous faisons la connaissance de Mercator, 12 ans, l’aîné des trois frères Fleming, embarqué en 1832 comme mousse à bord du Connecticut et assistant pour la première fois à la capture d’un cachalot au large du Brésil. Le but de ces campagnes de chasse de plusieurs mois: récupérer la graisse des cétacés, cette ressource très cotée qui, transformée en huile, entre dans la composition des bougies et des lampes et sert de lubrifiant pour les machines en cette époque de révolution industrielle. Trois fois plus cher que l’huile ordinaire, on prélève aussi le spermaceti ou "le blanc de baleine", une substance contenue dans la tête avec laquelle on produit des bougies plus brillantes et moins odorantes destinées aux riches clients. Enfin, les baleiniers cherchent l’ambre gris, rare et précieux, que l’on trouve parfois dans les intestins des cachalots, et dont le roman révèle le statut de trésor, aujourd’hui encore.
Mais les aventures de Mercator Fleming ne vont pas s’arrêter aux odyssées baleinières. En 1847, à 27 ans, il hérite avec ses deux frères cadets du Freedom, le trois-mâts barque de leur père décédé. Quelques épisodes plus tard, en 1849, on retrouve notre héros et son bateau à San Francisco où convergent, débarqués du monde entier, des milliers d’hommes répondant à l’appel de l’or. Deux ans plus tôt, à l’issue d’une guerre, la Californie a été perdue par le Mexique et en attendant son adhésion formelle à l’Union américaine, la ville est devenue la porte de ce Nouveau Monde où chacun cherche fortune. Mercator comprendra vite que, pour lui, le trésor n’a pas la forme de pépites mais de planches et de piquets de bois. Que le vrai gisement, ce sont les arbres, les cyprès qui résistent à l’eau dont on fait des pieux pour construire les jetées du port, et surtout le bois rouge du séquoia, l’arbre sacré des Amérindiens, grâce auquel San Francisco, cette bourgade côtière de campements et de bidonvilles sans foi ni loi, deviendra l’une des cités les plus prospères de la côte Pacifique. Croisant l’appel du large et de la forêt, la conquête de l’Ouest et celle des océans, Séquoias, à la fois romanesque et très documenté, rend hommage aux admirations littéraires de son journaliste d’auteur: Steinbeck, London, Stevenson et, bien sûr, Melville. V. R.