Hommage

Disparition de Jean-Claude Dubost, un « grand patron » de l'édition

Jean-Claude Dubost (à gauche) aux côtés d'Alain Kouck, ancien président d'Editis - Photo Olivier Dion

Disparition de Jean-Claude Dubost, un « grand patron » de l'édition

Décédé le 9 août 2024 à l'âge de 84 ans, Jean-Claude Dubost, ancien P-DG d'Univers poche, a marqué le parcours de plusieurs figures influentes de l'édition, dont Marie-Christine Conchon, directrice générale adjointe d'Editis, et Natacha Derevitsky, directrice adjointe du pôle éditorial jeunesse du même groupe. Ses anciennes collaboratrices honorent la mémoire d'un éditeur audacieux qui a notamment accompagné le lancement de la série « Chair de poule » chez Bayard, les débuts de la « chick lit » en France, ou encore la création du label de manga Kurokawa. Retour sur le parcours d'un « grand patron ».

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Par Souen Léger
Créé le 11.09.2024 à 18h14

Il fut l'un des grands patrons de l'édition du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Jean-Claude Dubost, P-DG d'Univers poche de 1999 à 2015, est décédé à Paris, le 9 août 2024, à l'âge de 84 ans.

Avant de prendre la direction de la filiale poche d'Editis, il avait notamment œuvré comme directeur commercial et éditeur au Livre de Poche (1967-1979), dirigé Hachette Jeunesse de 1980 à 1986, et présidé le groupe des éditeurs de jeunesse du Syndicat national de l'édition (1985-1986).

« C'était un homme d'entreprise avec une parfaite connaissance du métier, une vision du marché, des livres qu'on éditait, et de l'organisation des équipes. Je l'ai toujours vu, du début de notre collaboration jusqu'à son départ, développer les activités qu'il dirigeait, en lancer de nouvelles », souligne Marie-Christine Conchon, directrice générale adjointe d'Editis, qui avait repris les rênes d'Univers poche en 2011. « Il avait parfaitement intégré le fait que le métier d'éditeur est un métier de prise de risques », poursuit l'éditrice qui a débuté à ses côtés, chez Bayard.

De Chair de poule à Hunger Games

Nommé directeur du département Livre de Bayard (1987-1999) et membre du comité exécutif du groupe, il y a lancé « Bayard Poche », et la collection « Chair de poule » de R.L Stine, sous l'impulsion de l'éditrice Natacha Derevitsky, aujourd'hui directrice des Éditions PKJ et directrice adjointe du pôle éditorial jeunesse d'Editis. « Rentrant de Francfort avec les livres en main, je lui ai apporté mon butin : le lendemain, nous avons fait une offre et nous avons raflé Chair de poule. Quand il flairait un succès, il savait mettre la gomme », raconte Natacha Derevitsky. « Sous ses airs bourrus, il était très intuitif, mais aussi très stratégique. Il avait toujours deux ou trois coups d'avance par rapport aux autres », ajoute l'éditrice.

Lorsqu'il rejoint Univers poche (Pocket, 10/18, Fleuve noir) pour en prendre la direction, Jean-Claude Dubost embarque d'ailleurs Natacha Derevitsky et Marie-Christine Conchon. En 2000, par l'entremise de la première, il recrute aussi Béatrice Duval, alors directrice littéraire chez J'ai lu, afin de relancer Fleuve noir. La marque, qui publiait notamment Frédéric Dard, l'auteur des San-Antonio décédé en juin 2000, prend alors d'audacieux virages. « Il m'a donné ma chance sur un simple dîner, avec une latitude totale pour faire à la fois du grand format et du poche », retrace Béatrice Duval, qui introduit la « chick lit » en France en publiant Le diable s'habille en Prada (2004) et la série des « Gossip girl » (à partir de 2004).

« C'est grâce à Jean-Claude Dubost, grâce à son ouverture d'esprit et son talent en marketing éditorial que le Fleuve est sorti de l'ornière, avec, entre autres, des titres d'Harlan Coben et d'Éric Giacometti », estime celle qui fut par la suite directrice des éditions Denoël, puis directrice générale du Livre de poche jusqu'à son départ en retraite, en mars 2024. « Il avait une faculté remarquable à nous aider pour faire aboutir des projets. Il se faisait l'avocat du diable, et tant qu'on n'avait pas trouvé tous les contre-arguments, on revenait à la case départ », se souvient-elle encore. « Il savait nous challenger, nous pousser dans nos retranchements », confirme Natacha Derevitsky au sujet de son mentor.

Plus tard, en 2005, il contribue au lancement de Kurokawa, une marque dédiée au manga, avec Marie-Christine Conchon et Grégoire Hellot, qui dirige toujours le label. En 2009, vient la saga « Hunger Games », publiée chez Pocket jeunesse. « Nous l'avons achetée à la Foire de Londres pour des clopinettes, et ça a été un phénomène incroyable », relate Natacha Derevitsky.

Une « empreinte à vie »

Des faits d'armes, nombreux, qui témoignent d'une « intelligence très vive », selon la directrice des Éditions PKJ, mais aussi d'une « curiosité sans limite », selon Béatrice Duval. L'éditrice Héloïse d'Ormesson, qui a souvent collaboré avec Jean-Claude Dubost, salue « quelqu'un qui était toujours extraordinairement souriant, calme, et réfléchi avec lequel il était très agréable de travailler ». « On sentait une connaissance du métier assez époustouflante, du circuit du poche en particulier, ainsi qu'une grande gaieté dans le travail, ce qui est assez rare », observe l'éditrice.

« Il était très malicieux et adorait rire dès que l’occasion se présentait. Je me souviens de comités éditoriaux qui se terminaient en fou rire général ! », mentionne pour sa part Béatrice Duval. « Un solide sens de l'humour », confirme Marie-Christine Conchon, « avec ce mélange d'exigence et de discrétion ». « Ceux qui l'ont bien connu gardent son empreinte à vie », confie Natacha Derevitsky, restée proche de ce « grand patron à l'ancienne, mais toujours en avance sur son temps. »
 

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