Depuis son entrée fracassante en littérature en 2014, avec En finir avec Eddy Bellegueule, catégorie autofiction, celui qui s'est reconstruit en écrivain sous l'identité d'Édouard Louis poursuit dans sa veine, laboure son même champ, puisant obstinément dans son passé douloureux les sujets de ses ouvrages. « Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre », écrivait déjà Montaigne. Envers et contre tous, pourrait-on dire, il assume cette posture durassienne d'écrire toujours le même livre, alors que d'aucuns préféreraient qu'il s'ouvre d'autres perspectives, d'autres inspirations, voire qu'il ose une « vraie » fiction, loin de la famille Bellegueule. Mais après le fils Eddy, lui, puis le père brisé par le malheur, exploité, victime de la société, devenu alcoolique, violent, qui finit chassé du domicile conjugal par la mère, la voici justement, elle, Monique, dans ses « combats et métamorphoses ».
Un texte relativement bref, construit comme un dispositif théâtral en quatre actes scandés par des photographies comme autant de décors de scène. Un selfie de Monique à 20 ans, avant la naissance d'Eddy. Une photo d'elle avec le père, chez eux, picolant. Un selfie du fils et de la mère, métamorphosée, à Paris. Puis une photo d'elle seule, aujourd'hui, presque élégante, pomponnée. Entre-temps, les scènes se sont enchaînées, brutales, toute une série d'humiliations subies par Eddy dans son enfance, sur lesquelles il revient sans cesse. Comme la fois où son petit frère, avec qui il s'entendait pourtant plutôt bien (alors que l'aîné était un voyou homophobe), le traite de « pédé », déclenchant une violente dispute. « Je ne voulais pas que tu saches qui je suis », écrit Édouard Louis. Celle où, le garçon présentant un numéro de cirque, sa mère le traite de « cuisses de mouche ». Ou bien encore celle, terrible, où, après qu'il lui a avoué son homosexualité, elle ne trouve rien de mieux à dire que « J'espère qu'au moins au lit tu ne fais pas la femme. » Et puis, à 16 ans, elle manque le laisser mourir d'une péritonite. Un « pédé », n'est-ce pas, c'est douillet, ça panique pour un rien, ça « s'écoute ».
Malgré tout cela, et grâce sans doute à l'écriture, est venu le temps de la réconciliation, de la « tendresse » annoncée. Monique s'est installée à Paris avec un nouvel amoureux, elle prend soin d'elle, son fils l'invite dans des bars et des restaurants chics, il lui fait même rencontrer Catherine Deneuve. Happy end ?
Si, comme le pense Édouard Louis, tout est radicalement politique et si « écrire sur [sa mère], c'est écrire contre la littérature », il continue néanmoins à produire de la littérature en écrivant sur soi et les siens. Rien de nouveau sous le soleil par rapport à ses livres précédents. La même franchise, la même colère plus ou moins rentrée, la même fragilité en dépit du succès, de l'ascension sociale fulgurante. Édouard Louis en aura-t-il jamais fini avec Eddy Bellegueule ?
Combats et métamorphoses d'une femme
Seuil
Tirage: 55 000 ex.
Prix: 14 € ; 128 p.
ISBN: 9782021312546