Depuis Platon, la cause est entendue, mais pas pour autant défendable. Les poètes seraient des corrupteurs de la réalité, donc des individus dangereux pour la République. Alors que la philosophie… Ben Lerner reprend cette petite musique antique pour en tirer une mélodie très moderne, assez référencée au répertoire américain, Walt Whitman en tête. Normal, l’auteur de Feuilles d’herbe avait rêvé de composer une Bible laïque pour les Etats-Unis.
On se souvient d’une épitaphe rageuse sur la tombe d’un poète catastrophiquement nul : les vers se vengent. Ben Lerner ne va pas si loin. Il exalte le poète en figure tragique, et le poème en aveu d’échec. Comment parler pour tous, accéder à l’universel ? Lerner le sait pertinemment. Il est lui-même poète. S’élever par les mots n’est pas chose simple. D’autant que la chute est souvent dure…
En fait, Lerner propose un petit essai malicieux, plein d’anecdotes et de lectures, sur la difficulté d’être poète tout en expliquant la nécessité de s’adonner à cet art en sachant qu’on n’y parviendra jamais. Ou que peu seront élus. "La Poésie n’est pas difficile, elle est impossible." En cause, l’écart entre le réel et le virtuel, entre l’absolu que l’on vise et le quotidien où l’on reste irrémédiablement. Né au Kansas en 1979, Ben Lerner s’est fait remarquer par Paul Auster et Jonathan Franzen lors de la parution de son premier roman Au départ d’Atocha (L’Olivier, 2014). Au lycée, un professeur lui avait demandé de choisir un poème à réciter par cœur. Il s’était immédiatement renseigné auprès du bibliothécaire pour savoir lequel était le plus court. Aujourd’hui, il enseigne la littérature à Brooklyn. Ses étudiants, comme ses lecteurs, ont bien de la chance. L. L.