12 janvier > Roman Brésil > Martha Batalha

Eurídice et Antenor se sont mariés parce qu’ils ont valsé au bal masqué du Club naval et sont tombés amoureux ("cette passion mutuelle avait duré trois minutes"). Ça, c’est la version la plus romantique. Une autre explique cette alliance par un mimétisme social qui voudrait qu’on se marie parce que cela se fait, ou par émulation matrimoniale pour damer le pion à José Salvanio et à Manuel da Costa, tous deux déjà fiancés. Il y a encore la version selon laquelle l’union est imputable à la maladie qui emporta la tante d’Antenor, laquelle mijotait de bons petits plats pour son vieux garçon de neveu et lui repassait ses chemises. La plus plausible : Eurídice, après ses noces, allait se voir assigner la place de "responsable de 100 % du noyau familial en moins de deux ans". Deux ans : deux enfants, et un mari juste présent pour mettre les pieds sous la table. Bienvenue dans le Brésil des années 1950 ! Née à Rio de Janeiro comme son héroïne, Martha Batalha raconte dans ce premier roman, petit bijou de drôlerie et d’ironie, les quatre cents coups d’une grand-mère qui sut transcender sa condition de femme au foyer avec une plume des plus chamarrées, où se déploient "les mille talents" de l’aïeule - cuisinière, couturière - et le tableau de la petite-bourgeoisie carioca : Zélia "curieuse comme un ornithorynque" ; Margarida, "une veuve très heureuse, car Dieu lui avait pris son mari mais lui avait laissé sa pension" ; Guida, la sœur aînée d’Eurídice qui épousa, la chanceuse, le très chic Marcos. L’acrimonie au sein du couple vient de cette toute première fois où Antenor s’aperçut qu’Eurídice n’avait pas saigné. Traitée de "traînée" cette nuit-là et chaque "Nuit des Petits Whisky" lorsque l’époux employé de banque avait trop bu, Eurídice acceptait son sort car telle avait été son éducation, surmoi de femme soumise forgé par des siècles de domination.

Mais ce "Quelque Chose en Eurídice Qui ne Voulait pas Qu’Eurídice soit Eurídice", elle devait quand même le surmonter pour les grands délices du lecteur. S. J. R.

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