Saisi par Amazon après la promulgation de l'arrêté imposant un prix plancher de frais de port pour les livres neufs, le Conseil d’État a finalement renvoyé le dossier devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), ouvrant un nouveau chapitre de ce dossier deux ans et demi après le vote de la Loi Darcos par le parlement sur l’économie du livre en France.
L’institution européenne rend en moyenne son avis entre 14 et 18 mois après sa saisine, qui est non suspensive. « La certitude, c’est que l'arrêté continue de s’appliquer en l’état pendant ce temps », se rassure Guillaume Husson, Délégué général du Syndicat de la librairie française. Pour le reste, impossible de savoir ce qu’il va en advenir. « Il faut être un expert en droit européen », très complexe, assure-t-il.
Épineuse question de l’exception culturelle
En effet, la saisine de la CJUE par le Conseil d’État porte sur l’épineuse définition de l’exception culturelle et de sa portée, de manière beaucoup plus juridique que politique, qui concerne plusieurs échelles du droit européen. Techniquement, les sages français ont posé quatre questions, axées sur la légalité de l'arrêté par rapport à la directive européenne sur les services, plutôt que celle sur le commerce en ligne.
Cette procédure s’avère en tout cas différente de celle opérée par la Commission européenne après le vote de la loi Darcos, entre 2022 et 2023. Pour cette dernière, une consultation publique a permis à tout citoyen de participer au débat avant le rendu de l’avis européen en mars 2023. Ce dernier, nuancé, n’avait pas fermement condamné la légalité du décret, sans pour autant l’adouber, ouvrant donc la voie à sa promulgation par le Gouvernement français.
Trois options pour une décision
Cette fois, seuls les États membres, et la Commission européenne, peuvent donner avis à la CJUE. « Les concernés du dossier (libraires et Amazon, ndlr) n’ont plus la main sur le dossier », note un familier des instances publiques qui évoque « la roulette russe » quant à la décision de la Cour européenne. Celle-ci rendra son avis et le Conseil d’État statuera alors définitivement. Quant au Gouvernement français, difficile de savoir quelles marges de manœuvre il détient actuellement sur le sujet, dont l’aspect politique est devenu réduit au détriment du juridique. D’autant plus que, rue de Valois, les temps ont changé. La nouvelle ministre Rachida Dati ne s’est pas exprimée sur le sujet, porté depuis le début par sa prédécesseure Rima Abdul Malak, d’abord comme conseillère d’Emmanuel Macron à l’Élysée puis comme ministre de la Culture.
À ce stade, les jeux sont donc toujours ouverts, avec trois grandes options juridiques. D’abord celle d’accorder un cadre légal à l’exception culturelle, autorisant ainsi un État membre à imposer une prérogative, comme c’est le cas pour la loi Lang sur le prix unique du livre. À l’opposé, la Cour peut également censurer totalement l'arrêté, ne lui reconnaissant pas de légalité. Enfin, les juges européens peuvent censurer partiellement le décret, notamment sur le montant défini à partir duquel la quasi-gratuité peut s’appliquer. Ce dernier a été établi par le gouvernement à 35 €, et pourrait donc être revu à la baisse. Que reste-t-il du débat ? Amazon a déclaré attendre avec « impatience la décision prochaine de la Cour de Justice de l'Union européenne », tandis que le SLF préfère retenir que de la décision du Conseil d’État « a rejeté beaucoup de demandes d’Amazon, preuve de son exagération dans le dossier », selon son délégué général.
Un avis qui peut dépasser le secteur du livre
Il est encore trop tôt pour définir un bilan de l'arrêté, appliqué depuis le 7 octobre dernier. Mais selon les résultats trimestriels du groupe Fnac-Darty et le retour d’adhérents du SLF, corrélés par les évolutions du marché analysé par GFK et publiées par Livres Hebdo, la vente de livres en France ne s’est pas rétractée en volume depuis le début de l’année : les commandes en ligne ont baissé au profit de la vente physique et du clic and collect.
Quelle que soit la décision de l’instance de justice européenne, cette saisine par le Conseil d’État français offre à la CUEJ une occasion de définir, bien au-delà du secteur du livre, un cadre légal aux politiques culturelles des États membres de l’Union européenne.