Vous êtes devenu en 1988 le premier agent littéraire français. Comment percevez-vous l'arrivée de ces nouveaux intermédiaires en France ?
Je ne connais pas les motivations des autres agents, et je ne suis pas une sorte d'expert de chaînes d'info en continu ! J'observe toutefois que derrière le vocable « agent » se cachent plusieurs sous-tribus. La plus vieille est américaine, elle réunit des représentants qui défendent les catalogues d'agences et d'éditeurs américains en France. Puis, des anciens éditeurs français, en rupture avec leur maison d'édition, sont devenus agents pour rester dans leur biotope, le milieu qu'ils connaissent. Dans cette salade niçoise, mon métier, c'est le fil à couper le beurre. Je représente des écrivains, des personnes physiques. Pour moi, la question n'est pas de savoir qui est agent mais qui on représente. Dis-moi qui tu représentes et je te dirai qui tu es.
Vous représentez des stars du cinéma comme de la littérature. De Juliette Binoche à Michel Houellebecq en passant par Emmanuel Carrère et Fred Vargas. Pourquoi jouer sur les deux tableaux ?
Après avoir créé dans les années quatre-vingt le Bureau du livre français à New York, je suis rentré en France avec un rêve : lancer une agence littéraire à l'image de celle de Georges Borchardt, un Français exilé aux États-Unis qui, dans un premier temps, a défendu les éditions de Minuit et du Seuil. À cette époque, en 1988, il n'y avait pas d'agents d'auteurs français en France et les éditeurs ne voulaient pas de moi. Je me suis dit « courageux mais pas suicidaire, je vais faire le système de la torture romaine » : comme les grandes agences littéraires américaines sont issues de grandes agences artistiques, à l'image de William Morris et d'ICM, j'ai proposé mes services à Artmedia, la plus grande agence artistique française de l'époque. J'ai alors développé le domaine littéraire et j'ai, de fait, appris un autre métier, celui d'agent artistique. C'est donc grâce aux éditeurs, qui ne voulaient pas que j'existe, que j'ai découvert le cinéma et puis, par capillarité, en représentant des écrivains, je me suis aussi occupé de metteurs en scène, scénaristes et comédiens. J'ai ensuite cofondé en 1995, avec Laurent Grégoire, l'agence Intertalent.
Depuis, vous vous êtes taillé une réputation de négociateur féroce, détesté des éditeurs et adoré des écrivains - même si certains vous ont aussi tourné le dos comme Tahar Ben Jelloun. Qu'attendent de vous les auteurs ?
Peut-être que j'amène aux écrivains quelque chose que personne d'autre n'est capable de leur amener : l'adaptation de leurs livres au cinéma. Dernier exemple en date, Karine Tuil avec son roman, Les choses humaines. Peu après qu'elle a été distinguée par les prix Interallié et Goncourt des lycéens 2019, le film a été signé avec le producteur d'Yvan Attal. J'ai conclu ce deal, facilité par ma connaissance du milieu. Depuis, le film a été présenté à la dernière Mostra de Venise.
Le cinéma rémunère mieux que la littérature, ce n'est pas un secret. La principale motivation de l'écrivain est-elle financière ?
Non, la première motivation de l'écrivain reste la création littéraire. En revanche, les mœurs ont évolué. Les écrivains dans les années trente, à de rares exceptions près comme Céline, étaient des enfants de la haute bourgeoisie. En plus d'écrire, ils menaient d'autres activités. Romain Gary était ambassadeur, Paul Claudel aussi. Aujourd'hui, la montée des classes moyennes a vu arriver des personnes de milieux moins aisés, comme Philippe Djian ou Pierre Assouline, qui sont devenus de grands écrivains mais qui veulent aussi vivre de leur plume. Quand j'ai commencé à représenter Emmanuel Carrère, je me suis vite aperçu qu'il était aussi un très bon scénariste. Je lui ai fait rencontrer Fred Vargas et c'est lui qui a écrit les scénarios de la série sur Adamsberg avec Josée Dayan. C'est bien de cette manière que les écrivains peuvent aussi gagner leur vie.
La promesse d'une adaptation audiovisuelle vient souvent accompagnée d'un à-valoir important. Pourquoi tenez-vous autant à faire monter les à-valoir ?
Je n'organise pas d'enchères, celui qui vous dira ça est un menteur. Mais mon pari est clair : je demande à avoir un partage plus favorable à l'auteur. Je connais la valeur des écrivains que je représente, c'est ça le professionnalisme. Je demande un à-valoir plus important à l'éditeur et, en contrepartie, pour élargir l'assiette de l'amortissement, il garde la cession des droits étrangers.
Mais pensez-vous qu'un à-valoir plus important est l'assurance d'un succès en librairie ?
Non, cela n'assure pas le succès du livre mais donne plus de chances à l'auteur d'obtenir satisfaction car il devient un enjeu pour l'éditeur. L'auteur n'a pas toujours les mêmes intérêts que l'éditeur à l'instant T. Certains grands éditeurs ont cinq ou six auteurs de la rentrée littéraire susceptibles de prétendre au Goncourt. Pour l'éditeur, ce qui compte c'est d'obtenir le Goncourt, peu importe l'auteur qui l'obtienne ! C'est donc normal que l'auteur se protège.
Aujourd'hui votre catalogue compte plus d'écrivains que de comédiens. Pourquoi ?
Le catalogue se renouvelle naturellement. Il y a des étapes dans la vie... Avec le cinéma, j'ai réussi à très bien gagner la mienne. Mais mon goût premier a toujours été la littérature. Je me souviens bien de ma rencontre avec Michel Houellebecq en 1998. Quand j'ai lu Extension du domaine de la lutte, j'ai été très impressionné. J'ai demandé aux producteurs qui avaient adapté son film de me donner son numéro car je voulais le rencontrer. J'ai déjeuné avec lui, il était tout jeune, je lui avais déclaré ma flamme. Puis il ne m'avait plus donné de nouvelles. Jusqu'au jour où j'ai trouvé un message sur mon bureau où il était écrit, phonétiquement, « WELBEC ». Ce message aurait pu finir à la poubelle ! Je l'ai rappelé et il m'a dit qu'il allait s'installer en Irlande, qu'il s'était souvenu de notre discussion et qu'il aurait besoin de quelqu'un qui puisse gérer ses affaires en France pendant son absence, voilà comment cela a débuté.
Quels sont vos critères pour accueillir de nouveaux talents ?
Je représente aujourd'hui de jeunes auteurs comme Marin Fouqué ou Sofia Aouine. J'ai été très impressionné par leur premier roman. En ce qui concerne Marin Fouqué, je l'ai appelé et cela a matché alors que ce n'était pas gagné ! Il a des positions politiques totalement opposées à d'autres personnes que je représente. Il m'a demandé comment je faisais pour représenter Roman Polanski et Virginie Despentes. Je lui ai répondu que je ne représentais pas des idées mais des personnes.
Vous êtes le vice-président du Syndicat des agents littéraires, vous acceptez
de répondre au magazine professionnel du livre, vous participez à des tables rondes dans des festivals littéraires... Où est passé « tape dur », cet agent littéraire redouté par tous les éditeurs de la place de Paris ?
Avec le temps, les relations se sont beaucoup apaisées avec les éditeurs et c'est bien normal. Olivier Nora, Antoine Gallimard, Hugues Jallon, Manuel Carcassonne... Je les ai tous connus en culottes courtes ! Nous faisons partie de la même génération. À une époque, j'ai canalisé toutes les critiques des agents étrangers et j'ai surtout été la victime expiatoire des agents américains, comme Andrew Wylie qui ne s'était pas bien comporté. Mais je l'ai toujours dit : je considère que l'éditeur n'est pas mon adversaire mais mon partenaire.