Avant-critique Roman

Le garçon de trop. C'est le 3 juin 1960 que la vie du jeune Raoul Sévilla, 13 ou 14 ans, élève de troisième dans un collège de la banlieue nord de Paris, bascule. La veille, son meilleur ennemi, Lionel Larruche, l'a traité de « Sale mouchard ! Sale Juif ! », parce qu'il aurait dénoncé une de ses tricheries au surgé. Lui allongeant aussi quelques baffes, il l'a menacé de lui casser la figure le lendemain, jour de la composition de rédaction (la seule matière où Raoul le batte, parce qu'il veut devenir écrivain, partout ailleurs il est nul), pour la plus grande joie de la bande des « lascars », abrutis boutonneux pubères et baraqués.

Raoul, lui, est un gringalet geignard, fils d'une parfaite mère juive qui le couve et l'étouffe, et d'un père bourru qui ne pense qu'à Israël et à son boulot de vendeur de vêtements sur les marchés. La famille est juive de Salonique, et à la maison on parle encore le ladino. Mal dans sa peau, le garçon nourrit un sérieux complexe vis-à-vis de son frère aîné, François, lequel suit des études de médecine et fait la fierté de son père, tandis que lui se sent toujours « de trop », méprisé, et persécuté parce que juif. Autant de prédispositions pour devenir écrivain, en effet.

Alors, le 3 juin 1960, Raoul, plutôt que d'aller prendre sa raclée, sèche les cours, s'embarque pour Paris, où il s'offre une journée buissonnière et initiatique mémorable. Il déambule rive droite puis rive gauche, rencontre une vieille clocharde mythomane à la Sorbonne, pique La nausée de Sartre chez Maspero, s'offre un déjeuner au self, fume ses premières cigarettes... De retour dans sa banlieue, il se précipite chez sa cousine Paula, dont il est amoureux. Artiste, elle s'est spécialisée dans les portraits d'hommes nus « en action ». Il se prêtera lui aussi à l'exercice, en attendant le jour, pas très lointain, où « tu deviendras un homme, mon fils ». Ce que son père, un taiseux, ne lui dit pas. À la maison, sa mère, elle, lui passe un savon. Et, au collège, son escapade lui vaudra quatre heures de colle. Mais cela en valait la peine : toutes ces expériences vont nourrir son travail d'écrivain, et il aura même le courage de défier Larruche. Au fait, ce nom ne serait-il pas un travestissement du sépharade Barruch ? Ceci expliquerait cela.

Jean-Pierre Gattégno, qui joue ici avec le roman d'initiation, a écrit un livre sensible, drôle, tendre. Et Raoul est un personnage attachant, qu'on n'oubliera pas.

Jean-Pierre Gattégno
L'étrange journée de Raoul Sévilla
L'Antilope
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 21 € ; 240 p.
ISBN: 9782379511240

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