Morgan Sportès, dont le tropisme asiatique s’est affiché dès ses débuts en littérature (Siam, Seuil, 1982) revient à cette veine, et elle est particulièrement sanguinolente ! Le ciel ne parle pas constitue le pendant de Pour la plus grande gloire de Dieu (Seuil, 1993), roman qui s’intéressait déjà aux relations entre les chrétiens (espagnols ou portugais, jésuites ou dominicains, plus quelques pasteurs calvinistes hollandais) et le royaume du Japon, qu’ils étaient venus évangéliser, sans parler des fructueuses affaires menées depuis les comptoirs de Macao, Manille ou Goa. Au début, le tiroir-caisse et le goupillon font bon ménage. Le pays, morcelé entre une infinité de nobliaux, de daimyos antagonistes très vaguement fédérés sous l’autorité du shogun, se laisse volontiers pénétrer.
Les autochtones se montrent friands de nouveautés. Mais, à partir de 1633, à Nagasaki, le grand port cosmopolite où accostent les étrangers, l’atmosphère change du tout au tout. Le shogun Iemitsu, de la puissante famille des Tokugawa, un despote totalement paranoïaque et cruel, en réaction avec ses prédécesseurs, va commencer à persécuter les prêtres chrétiens et leurs ouailles, afin de les faire abjurer, de les ramener à la religion bouddhiste, avec une rare violence.
Parmi les premières victimes, le père Cristovao Ferreira, un jésuite portugais, provincial de son ordre pour tout le Japon. Arrêté, torturé, mourra-t-il en martyr, comme nombre de ses frères, dans l’allégresse et pour la plus grande gloire de Dieu ? Pas du tout. Et c’est ainsi que commence le roman de Sportès, fondé sur des faits authentiques.
Ferreira, pour sauver sa peau, se fait apostat, profanateur, se convertit, se fait appeler Sawano Chuan et, même, horresco referens, prend une femme ! L’affaire aurait pu en rester là, mais non. Outré que ses anciens frères jésuites l’aient chassé de leur ordre, il va se faire l’allié des Japonais, leur interprète, puis l’un de leurs procureurs, le plus impitoyable ennemi des chrétiens traqués, dénoncés, torturés, éliminés durant des années. En 1640, une ambassade de Portugais, sans armes et sans but commercial, sera décimée : 61 décapités et 13 survivants, des esclaves renvoyés chez eux pour témoigner. Même les Hollandais, qui se réjouissaient au début, ne pavoiseront pas longtemps.
Morgan Sportès s’ébat dans ces massacres très cinématographiques, dans ces intrigues inextricables, bouffe du curé à chaque ligne : chez lui, les papes sont des pédophiles, les rois, Espagnols très catholiques, des "dégénérés", et ils rôtissent tous en enfer. C’est érudit, plein de souffle et de soufre, juste un peu répétitif, jusqu’en 1650 où Ferreira, cette ordure absolue, meurt enfin.
Jean-Claude Perrier