"Aucun enfant ne croit d’instinct que la réalité est immuable." C’est pourquoi les écrivains peuvent la remanier à l’infini. Après sept ans d’absence, Nicole Krauss s’y prête à volonté. L’histoire de l’amour ou La grande maison avaient déjà imposé son style new-yorkais, imbriquant des histoires entre passé et présent. Elle poursuit ce cheminement dans la Forêt obscure de ses personnages perdus.
Jules Epstein s’est littéralement évaporé. Pourquoi cet avocat richissime s’est-il débarrassé de ses biens? Que faisait cet Américain dans le désert d’Israël? Plus on avance dans le récit, plus le mystère s’épaissit. "Ecrire, c’est chercher à comprendre." Mais que désire saisir Nicole, l’autre protagoniste de ce roman à clés?
On suit cette écrivaine, dont l’inspiration et la relation amoureuse se tarissent. Pour éviter de sombrer, elle part à Tel-Aviv, en quête de son enfance et de sa judéité. Ce voyage l’entraîne vers des pensées inattendues, grâce à un professeur érudit qui lui confie une mission: plonger dans le patrimoine inédit ou inachevé de Kafka, dont certains écrits restent cachés. "Plus personne ne se préoccupe de littérature. En Israël, les écrivains ont toujours été des "Luftmenschen", totalement inutiles, du moins selon nos idéaux fondateurs."
Un pays que Nicole Krauss dissèque sans complaisance. Son roman se veut pourtant plus identitaire que politique. Ainsi est-elle happée par une phrase de Kafka: "Qu’ai-je en commun avec les Juifs ? C’est à peine si j’ai quelque chose en commun avec moi-même." Un jeu de miroir, dont ce livre use et abuse, en confrontant les héros avec des figures inconnues, fantomatiques ou si proches qu’elles en deviennent aliénées. Impossible de ne pas songer au dernier livre de son ex-mari, Jonathan Safran Foer, qui s’interrogeait aussi sur la dissolution du couple ou le devenir d’Israël. Comment œuvrer à une métamorphose? Un réel défi. Kerenn Elkaïm