On va clarifier ce point tout de suite, parce que cette donnée intrigante a fait l'objet de beaucoup d'approximations, nous prévient-il en s'en amusant plutôt : oui, Joël Baqué, écrivain à la drôlerie métaphysique, a été officier de police. Lorsqu'il est parti en retraite anticipée en février 2018, il avait le grade de commandant et travaillait dans les Alpes-Maritimes dans le service spécialisé dans la lutte contre la traite des êtres humains... On le croit volontiers quand il note sans s'attarder que c'était un métier « prenant ».
Une ironie modeste
Etonnant parcours que celui de cet autodidacte grandi bien loin de la littérature dans un petit village viticole de l'Hérault, devenu avec le très loué La fonte des glaces, quatorze ans après la publication de son premier recueil de poèmes, l'une des révélations de la rentrée 2017 (enfin n'exagérons rien : l'emphase ne convient ni à ses manières, ni à son style tout en ironie modeste). Dans La mer c'est rien du tout, superbe texte autofictionnel en fragments, il a raconté sa rencontre avec la poésie contemporaine, le hasard qui l'a fait tomber sur un livre d'entretien avec Francis Ponge, oublié par un vacancier sur une plage où il officiait comme Maître Nageur Sauveteur. Puis les premiers poèmes parus dans des revues et, depuis, régulièrement, chez divers éditeurs. Le premier roman publié chez P.O.L il y a huit ans ? « J'ai envoyé le manuscrit d'Aire du mouton par la poste et uniquement à Paul Otchakovsky-Laurens parce que c'est un éditeur qui publiait des textes singuliers et exigeants dont plusieurs m'avaient beaucoup plu. »
« L'écriture n'a jamais été au centre de ma vie », insiste Joël Baqué. Le temps dont il dispose désormais, et qu'il a toujours su trouver dans les interstices de sa vie professionnelle, n'a rien changé à sa façon de faire : écrire quand ça le prend. Quand ça vient. Toujours à partir d'une phrase lue, parfois des années plus tôt, dont il apprécie « la formulation littéraire », qu'il mémorise et qui se transforme pour finir par « cristalliser des choses inconscientes ».
« Je ne sais absolument pas où je vais », assure-t-il, porté qu'il est par le pur plaisir du texte, par la jubilation de la mise en forme autant que par l'aventure des personnages, souvent des antihéros, seuls, pris dans un destin qui les dépasse, à qui il prête sa fantaisie mélancolique. Et ce délectable humour pince-sans-rire qui permet de creuser, mine de rien, les questions existentielles et « d'habiller le tragique ». Joël Baqué nous a ainsi emmenés au cœur de l'histoire d'amour, contrariée par les déterminismes sociaux, d'un représentant en parfums, dans le monde virtuel d'un trader, au pôle Nord avec des chasseurs d'icebergs.
Dans L'arbre d'obéissance, son quatrième roman, c'est dans un autre espace de solitude, le désert au sens propre, dans la Syrie du IVe siècle, qu'il nous plonge, sur les traces de Syméon le Stylite, l'un des plus célèbres ermites chrétiens, cet extrémiste de l'austérité qui a passé les trente-neuf dernières années de sa vie au sommet d'une colonne de pierre. Là encore, l'origine du roman remonte à vingt ans : l'écrivain, qui « marche à l'imaginaire » et n'aime pas la documentation, s'est alors passionné pour les stylites, frappé par la radicalité et l'esthétisme de ces ascètes de haut niveau - bien que, sans surprise, il se décrive comme préférant l'ambiguïté et le compromis -, avant de tomber en 2017 dans une librairie sur « la phrase déclencheur ».
Parisien pendant vingt-cinq ans, installé à Nice depuis quelques années, lui, « le sportif de la famille », l'amateur de course à pied, qui, adolescent, poursuivait l'objectif de remporter le marathon olympique, marche entre deux et trois heures, tous les jours, par tous les temps. L'itinéraire est rituel, une boucle qui part de chez lui pour s'élever 300 mètres au-dessus de la ville. Du haut de la colline il voit la mer, et c'est pas rien du tout.
L’arbre d’obéissance
P.O.L
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 17 euros
ISBN: 9782818048160