Je trans donc je suis. Cette fois, ils ont gagné. Depuis que l'extrême droite a pris les rênes du gouvernement, les haines se sont libérées et les groupuscules fascistes tabassent en toute impunité. À Lyon, la chasse aux homos, aux trans, et à tout ce qui n'est ni assez blanc, ni assez hétérosexuel, ni assez catholique est ouverte. Le temps d'une nuit, Molly, Prin et Axl, qui s'aiment et se déchirent, vont fuir, frôler la mort et tenter de trouver l'ultime refuge : la forêt à la source du troisième fleuve légendaire de la capitale des Gaules. Comme une nouvelle voie, ni homme, ni femme, mi-organique mi-technologique, un espace rêvé de protection et de liberté.

Parmi toutes les bandes dessinées qui abordent les sujets de genre et de transidentité - dont récemment la touchante autobiographie Sur le bout des doigts de Colin Atthar (voir LH Le Magazine n° 33) -, il se pourrait bien que ce troublant et puissant Hacker la peau marque un tournant. Imaginé par Sabrina Calvo - écrivaine de SF récompensée de prestigieux prix, notamment pour Toxoplasma (La Volte, 2017) - et Jul Maroh - auteur du remarqué Le bleu est une couleur chaude (Glénat, 2010) -, ce one-shot dystopique pousse loin la réflexion intime et politique sur la place des personnes queers et trans dans la société. S'il s'inspire de la flambée récente des actes homophobes et transphobes, ainsi que de la montée de l'extrême droite et de l'accentuation d'une surveillance généralisée, cet album ouvertement militant se veut aussi un poème narratif et graphique porteur d'espoir, à la langue incisive. Au fil d'un récit non linéaire, où les flashs du passé viennent éclairer le déroulé de cette nuit de terreur ou apporter une parenthèse de grâce dans une guerre civile qui commence, il porte la parole d'une communauté opprimée, qui ne cherche qu'à échapper au diktat d'un genre assigné à la naissance, ou à l'appropriation de son corps par un(e) autre. Hacker la peau annonce les luttes âpres à venir, le nécessaire piratage des us et coutumes, de tout ce qui nous colle à la peau. Adouci par un trait rond et des couleurs éthérées, il est en cela autant un manifeste bouleversant qu'une fable utopique brodée de mots lumineux. Parce qu'au fond, derrière tout cela, et c'est martelé ici sans naïveté, il n'est question que d'aimer et de vivre ensemble.