Il y a onze ans avec Mal de pierres, Liana Levi nous faisait découvrir le premier roman traduit en français de Milena Agus, adapté l’année dernière par la cinéaste Nicole Garcia. Depuis, il y a eu Battement d’ailes, Quand le requin dort, La comtesse de Ricotta, Sens dessus dessous… Tous célébrant de près ou de loin la terre sarde où est née la romancière.
L’île, point d’attraction qu’on aime, qu’on quitte, qu’on regrette, qu’on fantasme, vers quoi on retourne aussi, n’est pas l’unique terre promise dans ce nouveau roman, une saga familiale qui court sur la deuxième moitié du XXe siècle, axée autour de la trajectoire de Felicita. Son histoire commence avec ses parents, Raffaele et Ester, dans un village dans les terres. Le couple, fiancé très jeune, avant la Deuxième Guerre mondiale, s’installe à la fin des années 1940 à Gênes, "si belle. Venteuse, altière, fine, dessinée à la pointe sèche", puis à Milan où "la lumière n’est pas de la vraie lumière" et où la mère de Felicita, qui souhaitait pourtant plus que tout quitter son "trou maudit pour le continent", est immédiatement malheureuse.
Trop bonne - "la haine lui était étrangère" -, Felicita la bien nommée, qui ne ressemble pas à une fille de Sardes, reste fille unique, un cas à part parmi les fratries nombreuses de sa famille. Rentrée au pays avec ses parents, elle tombe amoureuse du fils de riches aristocrates du village, pour la plus grande fierté de sa mère qui entrevoit l’ascension sociale. Mais le mariage est annulé et un fils non reconnu naît, que Felicita va élever seule à Cagliari. Plus tard, il deviendra pianiste de jazz à New York.
Avec Milena Agus, on saute allègrement d’un monde à l’autre, on enjambe les mers et les années, on navigue entre drame et légèreté pour célébrer, au-delà du pays natal, la gloire des gentils. "Aucune méchanceté ne venait à l’esprit de Felicita qui prit la seule décision à sa portée : se contenter de ceux qui l’aimaient bien, de ce territoire minuscule mais suffisant pour vivre." Bienheureux ceux qui savent se satisfaire des bienfaits de la vie. Car "les gentils ont toujours beaucoup de chance".
Véronique Rossignol