2 février > Essai Etats-Unis > Frank Brady

Un fou qui joue aux échecs, c’est presque une tautologie. Une évidence. Avec Bobby Fischer (1943-2008), c’est toute une histoire. L’homme est cintré, c’est certain. Mais c’est aussi un génie qui a plusieurs coups d’avance sur son adversaire et des années de retard sur son siècle.

Fischer est ailleurs, Fischer est toujours autre part, là où on ne l’attend pas. Aux échecs, c’est un atout, dans la vie un handicap. Son match contre Boris Spassky en 1972 à Reykjavik est le grand round de la guerre froide. Il le sait, mais il s’en fout. Fischer ne joue pas les Américains qu’il n’aime pas contre les Soviétiques dont il se fiche. Il joue sa vie. Ou du moins ce qu’il en reste. Acariâtre, hypocondriaque, juif antisémite, négationniste, Fischer suit la diagonale du fou avec une constance qui désespère. Et pourtant, il est là, face aux 64 cases de sa destinée. Rien ailleurs. Que la misère dans le souffle de l’inspiration.

Frank Brady a connu Fischer. Il a épluché les dossiers de la CIA et du KGB. Ceux de sa mère aussi. Il raconte sa vie comme un roman ou plutôt comme une partie qui finit mal. Il la gagne certes, mais il perd la raison. C’était peut-être le prix à payer. En tout cas, cette biographie passionnante nous replonge dans les années où l’on commence à parler d’intelligence artificielle - la victoire du supercalculateur Deep Blue contre Kasparov en 1997 - tout en sachant que la bêtise restera aussi naturelle qu’au premier jour.

Nul besoin d’être joueur ou amateur d’échecs - aucune partie ne figure dans le livre - pour savourer cette aventure sans pareille que Frank Brady retrace avec justesse. Ce n’est pas le moindre exploit à l’endroit d’un prodige qui soumit son propre destin à un mat permanent. L. L.

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