Il aura fallu attendre son troisième roman, Qu’avons-nous fait de nos rêves ? (Stock, 2012), prix Pulitzer, pour que des deux côtés de l’Atlantique les lecteurs prennent la pleine mesure de la puissance romanesque de Jennifer Egan. La résidente de Brooklyn revient aujourd’hui en force, cette fois-ci chez Robert Laffont, avec son premier grand roman historique, Manhattan Beach, déjà traduit en vingt-trois langues.
Ce serait l’histoire d’Anna. Anna Kerrigan. Elle a 12 ans lorsque son père, homme à tout faire d’un syndicat de dockers, l’amène pour la première fois chez le mystérieux (et visiblement très riche) Dexter Styles. Elle comprend confusément que des liens troubles unissent les deux hommes. Le lecteur la retrouve une dizaine d’années plus tard. Un jour son père est parti pour ne plus revenir (ce qui lui offre quelque chose à faire: l’attendre, l’espérer). Elle vit désormais avec sa mère et sa sœur cadette handicapée. Son pays est en guerre et elle travaille au chantier naval de Brooklyn (les femmes remplacent les hommes partis combattre). Bientôt, la voilà première femme scaphandrier. Un soir, dans un club, sa route croise à nouveau celle de Styles, plus Gatsby que jamais, et nombre de questions commencent à trouver une réponse tandis que d’autres, plus intimes encore, vont se poser.
Magnifique "page-turner", Manhattan Beach fait évoluer le lecteur dans un univers peuplé d’êtres perdus, marins, syndicalistes, banquiers, gangsters, et parfois tout cela à la fois. Jennifer Egan orchestre ce bal des fantômes avec une inégalable virtuosité. O. M.