Saine et blonde (et belle et ambitieuse) plante du Midwest, elle vient de l’Iowa. A New York, en 1957, surtout au New Yorker, on en a vu d’autres. Pourtant, la jeune Janet Groth, nantie de son seul diplôme de l’université du Minnesota et de sa bonne volonté, est engagée. Au dix-septième étage du bâtiment, celui des secrétaires. Elle y restera vingt et un ans, sans jamais monter en grade, devenue tout de même peu à peu figure tutélaire de ce journal si emblématique de la vie culturelle américaine. Qu’y fait-elle ? Du secrétariat de rédaction donc, mais aussi les Madame bons offices, la confidente des égarés, l’invitée de la vingt-cinquième heure… "Quand J. D. Salinger cherchait le distributeur de Coca-Cola (il n’y en avait pas), c’est vers moi qu’il se tournait. Et si Woody Allen se trompait d’étage (ce qui lui arrivait souvent), j’étais celle qui le conduisait deux étages plus haut. Jean Seberg, à l’époque où elle sortait avec Don Stewart, avait-elle besoin d’utiliser les toilettes ? Je les lui ouvrais." Janet se révèle surtout aussi fine psychologue que lectrice, et sa compagnie ne tarde pas à être plébiscitée par les plus fines plumes du journal. Muriel Spark en fera sa fidèle amie, Joseph Mitchell déjeune avec elle chaque vendredi, tandis que passent aussi au fil des jours E. B. White, James Thurber, Dorothy Parker ou A. J. Liebling.
Que l’on ne s’y trompe pas toutefois : Janet Groth est devenue depuis son départ du journal une éminente universitaire, professeure émérite de littérature et auteure d’un essai remarqué sur Edmund Wilson. La chronique de ses deux décennies passées au New Yorker n’est pas un bottin mondain des autorités littéraires des années 1950 et 1960. C’est avant tout le récit formidablement intelligent, et donc, émouvant, d’une femme qui, parvenue au soir de sa vie, se penche sur sa jeunesse, ses amours, ses passions, ses voyages.
L’éditeur français de La réceptionniste du New Yorker évoque à propos de ces Mémoires la série Mad men. C’est exactement cela, la grâce en plus.
Olivier Mony