Certains héritages sont plus lourds à porter que d'autres. Pour Anny Duperey, il a fallu en passer par la littérature, un livre, très beau, Le voile noir (Seuil, 1992), pour qu'elle puisse enfin assumer totalement le sien. Elle y révélait son destin tragique de petite fille ayant perdu ses parents à l'âge de 8 ans des suites d'un accident domestique. Et puisque tous deux étaient photographes, elle y reproduisait quelques photographies de son père, Lucien Legras, laissant entrevoir combien grand aurait été son talent.

En ce sens, Les photos d'Anny qui paraît aujourd'hui peut être aussi compris comme une façon de boucler la boucle et de rendre à son deuil ce qui lui appartient. Ce n'est jamais tout à fait aussi simple. Dans ces pages qui la révèlent à son tour comme photographe, Anny Duperey paye autant un tribut aux siens qu'à la génération (post-68 pour faire vite) dont elle est l'enfant libertaire autant que sage et joyeuse. Depuis ce jour où, sans démêler ce qui relevait alors du conscient et de l'inconscient, elle fit l'acquisition d'un Leica, d'un télé-
objectif et de quelques pellicules (car ce temps-là était argentique, bien sûr), elle ne cessa de documenter ses plaisirs et ses jours. Dans un noir et blanc très profond où peut peut-être se laisser entrevoir l'ombre du père. On trouve dans ces pages ce qui constituait l'ordinaire autant que l'horizon d'une époque : une maison à la campagne, un quartier du Paris populaire qui s'en va ainsi que ses habitants pour faire place à de grands ensembles, et les visages, le plus souvent comme figés dans leur jeunesse, de ceux que l'on a aimés et qui parfois, sont partis. C'est la part la plus émouvante de ce livre qui l'est tant. Le regard infiniment tendre que pose Anny Duperey sur ses compagnons de tournages ou de scènes : Bernard Giraudeau bien sûr, Marie Dubois, Maurice Chevit, Laurent Terzieff, mais aussi Jacques Weber, Francis Perrin ou Nathalie Baye. Le temps est retrouvé, celui des photos en noir et blanc, des nuits passées à les développer, d'une liberté qui savait chaque jour s'inventer.