Séverine Nikel, la directrice éditoriale du département sciences humaines du Seuil, se réjouit du succès inattendu mais revigorant de L’Histoire mondiale de la France, écrit sous la direction de Patrick Boucheron. L’œuvre cherche en effet à déconstruire les mythes de l’unité et de l’unicité de l’histoire française. L’ancienne directrice de la rédaction du magazine L’Histoire fait ensuite sourire l’assemblée avec la publication pour le moins accéléré de l’imminent Pour un traité de démocratisation de l’Europe, co-écrit par Thomas Piketty, Stéphane Hennette, Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez. Alors que l’auteur du Capital au XXIè siècle a contacté l’éditeur mardi dernier, le livre sera en effet disponible ce samedi 18 mars en librairie, soit douze jours après leurs discussions initiales. Un point commun pourtant à ces deux ouvrages: la volonté de traiter des questions sociales actuelles, de la notion de progrès, d’idées internationales, notamment à travers des réflexions éloignées des courants de pensée dominants.
A ses côtés, l’Allemand Martin Breitfeld, éditeur chez Kiepenheuer & Witsch, acquiesce. Et pour cause: il a publié Les Panama Papers de Bastian Obermayer. Ses droits ont été achetés pour le français par le Seuil et l'anglais par One World. Alex Christofi, un des éditeurs de la maison britannique, raconte lui aussi la course contre le temps pour traduire et publier en trois semaines ce livre allemand phare.
"De l'analyse et de l'espoir"
Même lorsqu’ils se disent éloignés de la tentation de l’emballement et de la rapidité, de nombreux éditeurs sont influencés par l’actuelle tendance politique de fond. Jacques Testard, fondateur de la maison britannique Fitzcarraldo, publie le dernier roman de la Polonaise Olga Tokarczuk (Flights) en réponse aux violences contre la population polonaise du Royaume-Uni. La Britannique Anna Kelly, éditrice chez Fourth Estate, cherche des romans qui "apporteront aux lecteurs de l’analyse et de l’espoir, pour regarder le futur ou décrypter la réalité". Elle indique d’ailleurs que la satire, "un moyen de répondre aux crises politiques", est actuellement tendance au Royaume-Uni.
Alors que Bill Swainson, éditeur chez One World et MacLehose, se demande comment attirer les moins de trente ans, guère "habitués à lire au-delà d’une publication de blog", Anna Kelly rappelle que la question de la diversité du monde de l’édition britannique interpelle le secteur ces dernières années. Et que les éditeurs se demandent comment approcher les 52% qui ont voté en juin dernier en faveur du Brexit.
Cette préoccupation semble visiblement très éloignée des esprits de Manuel Carcassonne, le directeur général de Stock, qui admet se tenir à distance de ce type de tendances, et surtout de la P-DG de Fayard, Sophie de Closets. "Nous ne publions que les livres que nous aimons", explique-t-elle. Guère tentée par les paris, elle avoue ne pas savoir "atteindre cette audience, ces gens en colère (..) Il faudrait que j’embauche d’autres éditeurs pour pouvoir vendre à ces lecteurs que je ne connais pas." S’éparpiller pour toucher des lecteurs plus divers ou se concentrer sur son savoir-faire, Sophie de Closets a depuis plus de trois ans déjà tranché.