Ah, César Birotteau, on l’avait oublié. Et pourtant, dans la littérature française, c’est lui le parfumeur ! Balzac a magnifiquement décrit la grandeur et la décadence de ce fils de vigneron tourangeau qui monte à Paris pour devenir le roi de la fragrance. Avec opiniâtreté et honnêteté, il fournit les cinq cents parfumeurs de France. Socialement, lui-même se croit en odeur de sainteté. Bien sûr Birotteau est un personnage fictif, mais il illustre bien le passage de l’artisanat à l’industrie qui est au cœur de la recherche de Rosine Lheureux.
A l’origine, il s’agit d’une thèse de l’Ecole nationale des chartes, mais cette historienne chargée des partenariats scientifiques et des relations internationales aux Archives nationales l’a complétée par des éléments nouveaux et surtout elle l’a rendue accessible à un public plus large. Birotteau le boutiquier s’effondre dans les années 1830. C’est juste après que commence l’exploration de Rosine Lheureux, lorsque le détaillant louis-philippard laisse place à l’entrepreneur du second Empire.
Pendant un demi-siècle - de 1860 à 1910 -, la parfumerie française connaît un extraordinaire dynamisme. Les as de la savonnette surfine deviennent des virtuoses des senteurs florales qu’ils vont chercher à Grasse. Les usines succèdent aux officines artisanales pour donner naissance à la parfumerie moderne que Germaine de Staël définit comme "la rencontre de la mode, de la chimie et du commerce".
Avec beaucoup d’exemples d’affaires de famille qui prospèrent ou qui périclitent et une centaine de documents photographiques, Rosine Lheureux suit les mutations d’une profession à travers quelques parfumeurs qui ont sans doute inspiré Balzac comme Pierre-François Guerlain. L’abondance des dépôts de marques et l’originalité des modèles de flacons traduisent la vivacité du secteur qui cherche déjà à se protéger des contrefaçons comme en témoignent quelques procès retentissants.
Cette séduction par l’odeur et le flaconnage passe désormais par les mots. Ainsi, le savon "Ponce-Pilate" est accompagné du slogan : "Je m’en lave les mains." Vers 1880, la parfumerie pénètre dans les grands magasins de nouveautés comme Le Bon Marché ou La Samaritaine. La parfumerie française a conquis sa place dans l’économie nationale - on ne parlait pas encore d’industrie du luxe - qu’elle conforte par un âge d’or après la Première Guerre mondiale. Son prestige est alors considérable sur tous les continents. Et surtout, ces industriels ont réussi à faire de la cosmétique une pratique quotidienne. Birotteau paraît bien loin… Laurent Lemire