7 juin > Histoire France > Jacques Duquesne

"J’ai cherché partout une image, aux deux sens de ce terme, une chose peinte ou une métaphore, ne serait-ce qu’une métaphore pour vous parler de Dunkerque : orange éclatée, plomb fondu, hallali noir, piège de tonnerre et d’écume, kermesse de l’agonie… tout n’est que dérision." C’est Aragon qui parle, cité par Jacques Duquesne. Il fait partie de ces témoins qui n’ont pu oublier les yeux de ceux qui s’embarquèrent en juin 1940. Jacques Duquesne aussi était là, juste à côté, dans la maison familiale au bord du canal des Moëres, à Téteghem. Il avait 10 ans. Il se souvient de la cave, des bombardements, de la terre qui tremble, de son père policier qui revient le soir d’une ville en cendres, des rumeurs sur des parachutages de soldats déguisés en bonnes sœurs, d’un cheval fier qui avance vers la mort le ventre troué par un éclat d’obus, d’un jeu avec un canon antichar, des premières cigarettes Senior Service, de la peur qui s’installe et dont on finit par se détacher. Dans la classe du "certif’", cette grande figure du journalisme - il fut directeur du Point - raconte avec émotion cette enfance dans la guerre.

Mais l’auteur de Maria Vandamme (Grasset, prix Interallié 1983) n’oublie pas qu’il est aussi historien (Les catholiques français sous l’Occupation, Seuil, "Point histoire", 1996). Il revient donc sur les origines de cette drôle de guerre qui tourne au cauchemar, les panzers de Guderian qui prennent en tenailles les troupes britanniques, belges et françaises dans la poche de Dunkerque. 400 000 soldats sont piégés. L’évacuation - appelée opération Dynamo - espère sauver 45 000 hommes. Après des journées tragiques, sous des bombardements incessants, 340 000 sont évacués vers l’Angleterre, dont 140 000 Belges et Français.

Jacques Duquesne ne retrace pas toute l’opération Dynamo. Cela a été fait maintes fois et en détail. L’originalité de son livre tient à sa proximité avec son sujet, à sa sincérité et à sa fidélité à ce gosse du Nord qu’il fut et qu’il reste encore. Entre le récit scrupuleux des événements et le fameux Week-end à Zuydcoote de Robert Merle (Gallimard, prix Goncourt 1949), il convoque histoire et mémoire dans un ballet subtil pour décrire ces quinze jours décisifs.

Le 10 mai 1940, un Dunkerquois compte la centième alerte depuis le début de la guerre. Ce qui va suivre va être terrible. Les Stukas aux sirènes stridentes et les bombardiers de la Luftwaffe harcèlent la ville. Dans un souci d’efficacité, Goering a repris pour Dunkerque la technique utilisée en 1937 sur Guernica. Jacques Duquesne évoque aussi l’atermoiement des politiques, la sagesse de quelques officiers et le courage des soldats français qui contiennent les Allemands dans les faubourgs et transforment le désastre annoncé en retrait victorieux.

"Il n’y eut pas de miracle à Dunkerque, seulement des lâchetés et de l’héroïsme. Des hommes, quoi." De cette bataille lourde de conséquences pour la suite de la guerre, Christopher Nolan a tiré un film à grand spectacle qui sort le 19 juillet. Plus intime, Jacques Duquesne met ses pas dans les vers d’Aragon, histoire de rappeler que les guerres se gagnent aussi contre l’oubli. L. L.

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