C’est un roman qui court sur plus d’un demi-siècle. De 1952, la toute fin du règne terrible de Staline, où on pouvait lancer cinq soldats dans une traque aussi brutale qu’absurde, à la poursuite d’un évadé d’un camp "portant un nom germanique", qui va balader durant des semaines ses poursuivants à travers la taïga de l’Extrême-Orient russe, du côté de Tougour. Parmi ceux-ci, Pavel Gartsev, qui, durant la Grande Guerre patriotique, a été correspondant sur le front. Il a vécu des horreurs. Il a la haine en lui. De quoi résister mieux, peut-être, et survivre lorsque, en 1952, on le rappelle sous les drapeaux pour participer à une simulation de troisième guerre mondiale atomique dans la taïga. C’est là qu’ils croisent le chemin de leur "fugitif" - qui se révélera être, en fait, une femme redoutable et rusée, du peuple des Néguidales - et se lancent sur ses traces, conduits par un officier ivrogne, un commissaire politique sadique et un sous-officier fou furieux.
Au terme de cette longue nuit des chasseurs, Pavel se retrouvera seul et fera alliance avec son "ennemie", Elkan. Ils fuiront pour faire leur vie loin du fracas du monde, dans l’îlot de Bélitchy, au cœur des Chantars. Mais, même là, seront rattrapés par la "civilisation". Cette histoire, Pavel l’a racontée en 1963 au narrateur, un géodésiste victime lui-même du système soviétique, lequel, en 2003, retourne dans la région de Tougour, où les deux hommes s’étaient jadis rencontrés. Et c’est Sacha, le quasi-fils adoptif de Pavel et Elkan, qui lui en révélera la fin - supposée.
Sibérien d’origine, Andreï Makine replonge avec force dans la nature de la Russie, dans son histoire tourmentée, dans la folie des hommes, dont seul un amour improbable triomphe. J.-C. P.