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Le blues du petit libraire

Librairie Le Grand Selve à Grenade-sur-Garonne. - Photo CLARISSE NORMAND/LH

Le blues du petit libraire

Le transport à prix d'or, une information déficiente, pas d'auteurs en tournée, des remises au rabais et... Sérotonine livré avec six jours de retard. Partant des difficultés d'une librairie de deuxième niveau, Le Grand Selve à Grenade-sur-Garonne, Livres Hebdo a cherché à comprendre certains dysfonctionnements de la chaîne du livre. _ par Clarisse Normand

Par Clarisse Normand
Créé le 13.09.2021 à 14h23

A l'origine, il y a un coup de téléphone à la rédaction de Livres Hebdo. Une semaine après la parution de Sérotonine de Michel Houellebecq, Muriel Bernat ne l'a toujours pas reçu à la librairie-papeterie-magasin de jeux Le Grand Selve, à Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne). Au côté de Pascal Hernandez, gérant du magasin depuis quinze ans, elle est chargée du rayon livre et ne sait plus qui appeler. Sans acrimonie, mais clairement désemparée, elle s'épanche sur les difficultés que rencontre plus largement cette librairie de 2e niveau. Sur un territoire rural entre Toulouse et Montauban, sans le label Lir ni participation à une association professionnelle, le Grand Selve fait vivre le livre dans un périmètre de 30 kilomètres en réalisant un chiffre d'affaires annuel de 450 000 euros dont tout de même 300 000 avec le livre. Sur place quelques semaines plus tard, Livres Hebdo a découvert deux professionnels investis, qui ne ménagent pas leurs efforts. Nous avons identifié cinq défis auxquels ils sont confrontés comme de nombreuses autres librairies et les avons soumis à des éditeurs, diffuseurs et distributeurs. La plupart ont joué le jeu en nous répondant. Certains ont même, depuis, pris contact directement avec Le Grand Selve.

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1. « Nous avons reçu Sérotonine de Michel Houellebecq le 9 janvier, six jours après sa sortie. Nous avions pourtant passé notre commande début décembre et l'avions revue à la hausse mi-décembre mais, selon Flammarion, nos quantités ont été écrasées ! Les retards de livraison, quel que soit l'éditeur, sont trop fréquents. Nous perdons des ventes et nous décrédibilisons auprès des clients. »

Vincent Le Tacon, directeur commercial de Flammarion : Nous n'avons pas trace de leurs commandes. Il faut savoir que dans notre système, lorsqu'un libraire modifie sa première commande d'office, il l'efface et seule sa deuxième commande est prise en compte. En outre, pour Sérotonine, on a arrêté de prendre les notés le 14 décembre. Si le libraire a passé sa deuxième commande après, cette dernière n'a pas été traitée en office, mais en réassort.

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Jean-Charles Grunstein, directeur commercial de la branche littérature de Gallimard : En fin d'année, un afflux de petites commandes a pu entraîner des retards, mais tout est rentré dans l'ordre. En tout cas, il n'y a pas de différence de traitement entre petits et grands clients. Les offices sont préparés en même temps.

Laëtitia Ruault, directrice commerciale d'Actes Sud : Actes Sud est très attentif au circuit de la librairie, dont les commandes sont souvent préparées en premier. Quand il y a des retards de livraison, il faut parfois regarder du côté du transporteur, qui est choisi par le libraire.

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2. « Hachette et tout récemment Interforum ont fermé leur salle de vente régionale qui nous permettait d'avoir leurs livres du jour au lendemain, de voir les nouveautés et de limiter nos coûts de transport. Livrés tous les jours par Prisme, ces coûts représentent aujourd'hui l'équivalent d'un salaire au smic. Pourquoi n'est-on pas livré en franco de port, comme dans la papeterie ou les jeux ? »

Marie-Pierre Sangouard, directrice générale adjointe d'Interforum : Notre salle de vente à Toulouse n'a pas été fermée, mais ses activités ont été transférées au Comptoir du livre (qui propose l'intégralité des éditeurs) aux mêmes conditions commerciales. L'objectif de ce regroupement est d'améliorer le niveau de service.

Bouchaib Moudakir, directeur de la plateforme de transport Prisme : Franco de port ne veut pas dire gratuité. Le transport ne peut pas être gratuit : quand il n'apparaît pas, c'est qu'il est intégré dans le prix du produit. En plus, dans le livre, nous avons la plateforme Prisme qui massifie les envois : non seulement elle ne pèse que 0,25 % du prix d'un livre, mais ses coûts sont partagés à 50-50 entre l'édition et la librairie. Après, il y a le transport lui-même, qui est plus cher pour un point de vente installé à l'autre bout de la France en zone rurale. Mais la vraie question pour le libraire est de savoir quelle est la part du transport dans son chiffre d'affaires. La moyenne se situe entre 3 % et 7 % en fonction des volumes.

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3. « Nous manquons d'informations : nous n'avons pas de service de presse, nous sommes de moins en moins visités. Chez Actes Sud, nous n'avons vu qu'une fois le représentant : quand il est arrivé il y a trois ans. Depuis, nous recevons des catalogues succincts sur les nouveautés et nous renvoyons nos bons de commande. Pour être informé sur la production, on se connecte le soir sur les plateformes de chaque éditeur. Et quand les livres arrivent en magasin, je les lis en faisant attention à ne pas les abîmer. J'essaie d'en lire un par soir. »

Laëtitia Ruault (Actes Sud) : Le cas évoqué est très particulier. Le représentant qui s'occupe de cette librairie a eu un grave accident et a été arrêté durant un an. Nous n'avons pas réussi à le remplacer et nous avons développé le travail à distance. Toutefois, il a repris ses fonctions il y a six mois, et les liens devraient se renouer. Nous nous efforçons d'être proches des libraires et nos représentants visitent 1 600 librairies, de 1 à 10 fois par an selon les besoins. Dans cet ensemble, le deuxième niveau n'est pas en reste.

Vincent Le Tacon (Flammarion) : Il faut arrêter de dire que les petits libraires sont maltraités. Chez Madrigall, le nombre de commerciaux pour le deuxième niveau a été porté de 9 à 12 ces deux dernières années. Cette équipe visite 1 000 clients. Mais elle ne peut pas en visiter 2 500. De toute façon, ce serait trop coûteux. Pour les libraires qui ne sont pas visités, nous avons créé une équipe sédentaire et des outils d'informations sur Internet.

Marie-Pierre Sangouard (Interforum) : Interforum compte un peu plus de 300 collaborateurs pour la diffusion France (y compris au siège). Avec notre nouvelle organisation, qui a mis fin aux notions de niveau 1 et 2, ces dernières sont visitées de manière plus fine et plus souple en fonction de leurs besoins (1). Aussi Le Grand Selve à vocation à être visitée par 1 ou 2 représentants à un rythme défini en commun.

4. « Les éditeurs ne nous aident pas dans notre politique d'animation. Quand nous voulons faire venir un auteur, on ne nous répond pas ou on nous décourage. Pour Fabcaro, Gallimard nous a adressé un document pour prendre à notre charge sa venue et assurer la présence d'au moins 40 personnes à la rencontre... Nous sommes plus aidés par les auteurs que l'on reçoit, et qui font venir leurs confrères, que par les éditeurs. »

Jean-Charles Grunstein (Gallimard) : Gallimard est très sollicité. Envoyer des auteurs en librairie notamment en province, est coûteux. C'est pourquoi nous demandons au libraire de participer aux frais, par exemple en prenant en charge son hébergement. Quant aux rencontres, c'est normal, nous voulons nous assurer que nos auteurs seront satisfaits.

Laëtitia Ruault (Actes Sud) : Nous essayons de répondre aux demandes des libraires, sans fixer de consignes minimales. Mais il faut éviter de décevoir l'auteur et il faut rentabiliser les déplacements. C'est pourquoi nous essayons d'organiser des tournées, même si ce n'est pas toujours évident. Chez nous, trois personnes s'occupent des animations.

5. « Pour maîtriser notre offre, nous n'avons pas de grille d'office. Mais on nous le fait payer par des taux de remise faibles : 33,5 % chez Interforum, 34 % chez Hachette ! De plus, entre les délais de facturation, de retour et de recréditation, les librairies font la trésorerie de leurs fournisseurs. Du coup, la nôtre est structurellement dans le rouge. On se passerait volontiers de l'option de retour afin de gagner, en contrepartie, des points de remise. »

Marie-Pierre Sangouard (Interforum) : Nous nous efforçons de valoriser le travail qualitatif qu'effectuent les librairies en tenant compte de différents critères comme le taux de détention du fonds ou le taux de retour. Chaque année, ces critères ont vocation à être examinés librairie par librairie. L'an passé, plus de 50 établissements ont bénéficié d'une révision à la hausse de leurs remises. Quant à l'option de retour, nous avons fait le choix de la conserver car elle permet aux libraires de prendre des risques et d'éviter qu'ils ne privilégient que les best-sellers.

Laëtitia Ruault (Actes Sud) : Chez Actes Sud, où Le Grand Selve a quand même 38 % de remise, il n'y a plus de grille d'office. Depuis cinq ans, nous travaillons avec les libraires sur des préconisations avec des quantités maîtrisées à l'office et des réassorts qualitatifs. Cela a permis de limiter sensiblement les retours. En revanche, nous gardons encore l'option de retour. 

(1) Voir l'interview de Marie-Pierre Sangouard, p. 22.

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