"On a tellement mal qu’on veut se tuer." Ce mal dont Simon témoigne, c’est la douleur chronique, l’échec de la médecine. Elle s’installe au cœur du nouvel essai de David Le Breton. Comme à son habitude, le sociologue (université de Strasbourg) sillonne entre philosophie, anthropologie, psychologie, psychanalyse et enquête de terrain, selon une méthode bien huilée qui a montré sa pertinence et son efficacité.
Après Anthropologie de la douleur (Métailié, 1995) et Expériences de la douleur (Métailié, 2010), David Le Breton boucle un triptyque avec cette exploration de la douleur chronique, celle des longues maladies, des cancers, des suites de traumatismes ou d’accidents du travail.
En puisant dans des expériences diverses, il montre comment cette souffrance lancinante perturbe le corps, les esprits et la vie quotidienne. Des couples se séparent, des existences s’enferment, des espoirs s’envolent et chacun se raccroche aux relations compliquées entre malades et médecins, entre ceux qui ne peuvent montrer leur douleur et ceux qui ne veulent pas la voir. "L’individu en proie à une douleur chronique souffre mais il est aussi en souffrance comme on dit d’une lettre qui n’a jamais atteint son destinataire, il est en suspension." Cette suspension au-dessus du volcan de la douleur, elle s’exprime dans les nombreux témoignages des patients - c’est bien le mot - rencontrés ou dans les évocations célèbres d’un Renoir perclus d’arthrite rhumatoïde et qui continuait à peindre, les pinceaux attachés aux mains, ou Alphonse Daudet qui nommait cette compagne qui le torturait La doulou.
La douleur transforme, défait le corps comme un métal sous l’effet de la chaleur. David Le Breton, avec ce style élégant qui le distingue dans les sciences humaines, explore ce territoire dans tous ses recoins, jusqu’à l’addiction pour ce supplice qui protège certains de souffrances plus redoutables encore. Puisque chaque douleur est unique, chaque médecin devrait la prendre en compte spécifiquement dans une médecine plus adaptée. Face au mal chronique, voici un livre qui fait du bien. L. L.
