"J’étais le survivant d’une histoire trouble, qui nous avait séparés, une histoire douloureuse oubliée à dessein." Cette histoire, Eric Fottorino ne cesse de la revisiter dans ses écrits. Les cris et les questions en suspens s’y expriment, comme s’il donnait enfin une voix au couffin de l’enfance. Celle dont on ne parvient pas vraiment à s’extirper. Côté pile, il y a le journaliste chevronné, devenu directeur du Monde, cofondateur du 1 et d’America. Côté face, l’homme pudique et blessé, qui s’est imposé comme écrivain.
La famille dont il est le fruit est tissée de complexité. L’homme qui m’aimait tout bas (Gallimard, 2009) et Questions à mon père (2010) relataient déjà un parcours identitaire, ébranlé par ses deux figures paternelles. Mais un autre personnage clé manquait à l’appel. "Je connaissais mieux les batailles napoléoniennes que ma mère", note le narrateur. Un constat d’autant plus flagrant quand elle se confie soudainement sur un secret lourdement gardé. Cette femme, a priori si solitaire et amère, révèle tout à coup son vrai visage. "Il était trop tard pour être heureuse, en paix avec elle-même, avec les ombres et les morts. Avec les vivants aussi." Si ce n’est qu’au fil de ses révélations, elle ouvre des vannes d’émotions longuement refoulées. "A-t-on déjà entendu dire : ma mère, ce héros ? Je voulais exhumer cette gamine de dix-sept ans." Une fille-mère ballottée par des drames impossibles à partager. "On s’en est sortis vivants, Lina et moi. Vivants, pas indemnes", souligne son fils. Quelles ont été les séquelles sur leur relation? Pourquoi a-t-elle été ponctuée de rendez-vous manqués? "J’ai surtout brillé par mes absences. Je ne suis pas ton fils. Je suis ton fardeau", soutient l’écrivain. Loin de fuir, il prend le chemin du bercail niçois pour revisiter les entrailles de cette femme, qui lui a si longuement échappé. Une façon de recomposer leurs vies morcelées par le prisme de la littérature. Eric Fottorino trouve une fois de plus les mots pour nous remuer en profondeur. Avec cette fois, en prime, le tableau d’une mère qu’il doit apprendre à accepter, sans la juger. Et si grandir, c’était justement saisir que ses parents n’étaient que des êtres fragiles comme les autres?
Kerenn Elkaïm