La rédaction d’un contrat d’édition reste un exercice délicat.
De contrat possède en effet un statut très particulier au sein des contrats relatifs au droit d’auteur que l’éditeur est amené à négocier fréquemment. Le législateur, dans un souci de protection des auteurs, s’est attaché à limiter la liberté contractuelle des éditeurs et à entourer la conclusion d’un contrat d’édition de nombreuses conditions. Le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) consacre une section entière aux règles propres au contrat d’édition. L’ensemble de cette législation a par surcroît été grandement interprété et aménagé par la jurisprudence. Il en résulte aujourd’hui que le contrat d’édition suit un régime très dérogatoire du droit commun des contrats, régime que l’éditeur doit veiller scrupuleusement à respecter au risque de perdre le bénéfice de la signature d’un auteur.
Car les litiges demeurent nombreux. C’est ainsi que le Tribunal judiciaire de Lille a dû apprécié, le 26 mai dernier, la validité de certaines clauses. Rappelons à propos du nombre d’exemplaires du tirage que l’article L. 132-10 du CPI précise : « Le contrat d’édition doit indiquer le nombre minimum d’exemplaires constituant le premier tirage. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux contrats prévoyant un minimum de droits d’auteur garantis par l’éditeur. »
Motif de rupture
L’éditeur reste habituellement maître de procéder à tout tirage supplémentaire, et l’auteur ne peut l’y contraindre, comme cela a déjà été jugé. Un tribunal a cependant considéré comme fautif un éditeur qui s’y refusait dans le seul but de nuire à son auteur. Et si l’édition est limitée à un certain nombre d’exemplaires, les exemplaires supplémentaires seront cependant des exemplaires contrefaits aux termes de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris. Selon certaines autorités, il n’y a qu’en cas de destruction dans un incendie que le nombre maximal d’exemplaires à tirer peut être dépassé…
Les juges de Lille se sont penchés sur un « acte sous seing privé en date du 25 juillet 2017 », aux termes duquel « Mme X. exerçant une activité d’écrivain sous le pseudonyme «?Mme Y.?» et la société Z Editions ont conclu un contrat d’édition portant sur l’oeuvre ayant pour titre provisoire Hélène – apprivoise moi, d’une durée de 10 ans avec faculté de tacite reconduction, par lequel Mme X. cédait à l’éditeur, moyennant rémunération, le droit de reproduire, publier et exploiter cette oeuvre, sous forme imprimée et numérique ». Or, Mme X. a assigné son éditeur aux fins de faire juger nul le contrat d’édition signé le 25 juillet 2017 et rompu le 3 mai 2018, « faute d’engagement de l’éditeur quant au nombre minimum d’exemplaires constituant le premier tirage, et compte tenu de la nullité de la clause sur la rémunération de l’auteur quant à l’exploitation numérique, et de la nullité de la clause de cession des droits portant sur l’édition numérique, clauses substantielles ».
Ajoutons qu’elle demandait dans la foulée à considérer comme nulles les dispositions relatives au pacte de préférence, et relatives à la cession du contrat d’édition et donc de « juger contrefaisante l’exploitation de l’oeuvre effectuée Z. Editions, sans autorisation valable de sa part ».
Calcul
Selon les juges, « l’absence d’engagement de l’éditeur relatif au nombre d’exemplaires minimum constituant le premier tirage et l’absence d’à-valoir prévu au bénéfice de l’auteur, constitue une violation des dispositions de l’article L 132-10 du Code de la propriété intellectuelle et affecte nécessairement un élément déterminant de l’engagement de l’auteur, étant observé au surplus que le montant de l’à valoir est un moyen pour l’auteur de vivre de son métier dans la mesure où l’usage établi dans l’édition est de considérer que le montant de l’à-valoir versé par l’éditeur à l’auteur doit couvrir, au minimum, l’équivalent des droits d’auteurs dus sur la moitié du premier tirage, ou, en cas d’édition de poche, sur l’intégralité de ce tirage, mais également une incitation, pour l’éditeur, à mettre en œuvre les efforts commerciaux nécessaires pour vendre les exemplaires de l’ouvrage édité. »
Et de compléter en disposant qu’« ainsi la société Z. Editions n’a-t-telle souscrit aucun engagement en termes de nombre d’exemplaires minimum constituant le premier tirage ou d’à-valoir au bénéfice de Mme X. Il en résulte que sans même qu’il y ait lieu de rechercher si le second motif de nullité de l’ensemble du contrat invoqué par la requérante et procédant : de l’assiette de la rémunération de l’auteur,
est opérant, il convient de déclarer nulle contrat d’édition conclue le 25 juillet 2017 entre Mme X. et la société Z. Editions. »
Les magistrats vont au bout de leur logique juridique : « L’annulation du contrat d’édition conduit nécessairement le tribunal à condamner la société Z . Editions au retrait des oeuvres de Mme X. objet du contrat d’édition en date du 25 juillet 2017 et plus particulièrement, de l’ouvrage suivant : Switch Me, en format imprimé et numérique; sur tous sites marchands et établissements physiques, dans le délai de 45 jours à compter de la signification du présent jugement et sous peine d’astreinte provisoire de 50 Euros par jour de retard passé ce délai, pendant 3 mois. »
Je passe sur les autres condamnations imputées à la maison d’édition.
La morale ou plutôt l’enseignement juridique de cette affaire est que le secteur du livre, à défaut d’être vraiment lucratif en année de pandémie, est à tout le moins belliqueux et que la prudence dans la rédaction des contrats, souvent piochés sur des modèles en ligne incomplets ou non à jour doit demeurer de mise…