Disparition

L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré est décédé

En France, Ismaïl Kadaré a été édité par Le Seuil, Fayard, Albin Michel et réédité au Livre de Poche. - Photo AFP/Gali Tibbon

L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré est décédé

Figure de la résistance contre la dictature communiste albanaise, Ismaïl Kadaré s’est éteint lundi 1ᵉʳ juillet à Tirana à l’âge de 88 ans.

Par Élodie Carreira
avec AFP Créé le 01.07.2024 à 13h12

Il est l’un des rares écrivains albanais mondialement reconnus. Ismaïl Kadaré s'est éteint ce lundi 1ᵉʳ juillet, à Tirana, capitale de l’Albanie, à l’âge de 88 ans. Architecte d’une œuvre littéraire monumentale, il érigeait les mots en rempart contre la tyrannie d’Enver Hoxha, responsable d’une des dictatures les plus répressives et sanglantes du XXe siècle.

En ethnographe sarcastique et romancier du grotesque et de l’épique, Ismaïl Kadaré a exploré les mythes et l'histoire de son pays, pour disséquer les mécanismes d'un mal universel : le totalitarisme. « L'enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant », avait confié l’écrivain à l'AFP, avant d’être désigné grand officier de la Légion d'honneur par le président Emmanuel Macron, en octobre dernier. « Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t'aide à survivre, à vaincre tête haute la dictature, avait-il ajouté, racontant que la littérature « m'a donné tout ce que j'ai aujourd'hui, elle a été le sens de ma vie, elle m'a donné le courage de résister, le bonheur, l'espoir de tout surmonter », avait-il expliqué, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana.

Écrire pour raconter

Né à Gjirokastër, sa « ville de pierres » du sud de l'Albanie, Ismaïl Kadaré commence à écrire dès l’enfance, alors qu’il découvre dans une bibliothèque familiale l’œuvre de Shakespeare, un de ses héros avec Eschyle, Cervantès, Dante ou Gogol. Au début des années 1960, il étudie à l'Institut Maxime Gorki, à Moscou, une pépinière du réalisme soviétique, un genre littéraire qu'il prend en horreur et dont il contera l’apprentissage dans Le Crépuscule des dieux de la steppe (1978).

Mais l’écrivain est remarqué dès son premier roman, Le Général de l’armée morte, paru en 1963, puis sept plus tard en France chez Albin Michel. Son deuxième roman, Le Monstre (1965) est interdit en Albanie après publication, ne ressurgissant sous forme de livre que 25 ans plus tard. Quand Hoxha décide de couper les ponts avec l'URSS de Nikita Khrouchtchev, Ismaïl Kadaré revient en Albanie. De cette rupture naît Le grand hiver (1973), dans lequel apparaît pour la première fois le dictateur albanais. Bien que plutôt favorable à Tirana, les plus fervents adorateurs du tyran le jugent insuffisamment laudateur et réclament la tête de l'écrivain.

Victime de censure et de critiques

Étonnamment, Hoxha vole à son secours. Par la suite, l’écrivain est souvent protégé par sa renommée, quand d’autres artistes se voient condamnés aux travaux forcés, voire exécutés. L’écrivain sera justement critiqué pour ce statut de « dissident officiel », même si celui-ci aura réfuté toute relation avec la dictature. D’ailleurs, l’auteur n’est pas vraiment épargné. En 1975, son poème Les Pachas Rouges lui vaut, par exemple, une interdiction totale de publication, et une surveillance étouffante qu’il détaille dans Printemps albanais (1997).

Et pourtant, quelle meilleure métaphore de la hideuse terreur éprouvée par l'opprimé, que ces têtes des vizirs en disgrâce exposées au public dans La niche de la honte (1978) ? Car c’est entre ces pages que l’écrivain décortique l'occupation ottomane, thématique régulière de son œuvre, que l’on retrouve, par exemple, dans Les tambours de la pluie (1970). Et pour cause :

« J'appartiens à l'un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui ont perdu l'Europe deux fois : au XVe siècle, durant l'occupation ottomane, puis au XXe siècle, durant la période communiste », expliquait l'écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal Le Monde. En somme, Ismaïl Kadaré se considérait comme un écrivain qui « essaye de faire une littérature normale dans un pays anormal ».

« Mes livres sont un vrai testament littéraire »

Son œuvre, riche d'une cinquantaine d'ouvrages, dont des romans, essais, nouvelles, poèmes ou théâtre, a été traduite dans 40 langues. Animée par le besoin de l’écrivain, de servir la liberté, elle a été largement écrite sous le régime d’Hoxha qui, jusqu'à sa mort en 1985, a dirigé d'une main de fer une Albanie coupée du monde. « La vérité n'est pas dans les actes, mais dans mes livres qui sont un vrai testament littéraire », disait Ismaïl Kadaré à l'AFP en 2019.

Les dernières
actualités