13 octobre > Récit Royaume-Uni > John le Carré

C’est une cause entendue, de Conrad à Echenoz, l’espionnage est affaire de littérature. Ce n’est pas John le Carré, maître du genre s’il en est, qui prétendra le contraire. Seulement, si tous les romanciers, par définition, sont un peu espions, l’inverse n’est pas toujours vrai. Ce sera donc l’intérêt premier de ce Tunnel aux pigeons, recueil buissonnier de Mémoires par lequel l’auteur de La Taupe et d’Un amant naïf et sentimental coupe l’herbe sous le pied à ses biographes, que de fondre dans un rapport de causalité l’un et l’autre. On s’en doutait un peu, mais c’est maintenant confirmé : David Cornwell, son nom à l’état civil, et John le Carré ne sont que les deux faces d’une même pièce, aussi liés que la vérité et le mensonge.

Tout est faux-semblant chez ce gentleman de 85 ans, dans sa vie surtout. Loin de s’en tenir à un fil chronologique qui serait illusoire, et avouant dès les premières pages du livre ne faire qu’une confiance relative à sa mémoire, le Carré passe moins du coq à l’âne que d’un éclat de souvenir à l’autre. C’est ainsi qu’on le retrouve à Bonn, honorable correspondant des services britanniques, combattant moins le communisme que l’ennui d’une existence d’espion subalterne. Paradoxalement, c’est lorsqu’il aura renoncé, après s’être réinventé en romancier, à son service pour le MI6 puis le MI5, qu’il aura une vie plus synchrone avec ce que l’on imagine de celle d’un espion. Le voilà skiant avec Sydney Pollack, embarqué dans une chenille endiablée avec Yasser Arafat à Beyrouth, dans une fumerie d’opium à Ventiane, auprès d’une terroriste allemande dans le désert du Néguev, de Richard Burton sur le tournage de l’adaptation de son Espion qui venait du froid ou même avec Bernard Pivot sur le plateau d’"Apostrophes". Le tout, sans effet de manches ni de style, écrit avec un sens de "l’understatement" qui est sa marque de fabrique littéraire. Car ces anecdotes ne seraient rien ou bien peu si elles ne diffusaient un parfum de poignante mélancolie à chaque page, y compris celles où est ravivée sa vieille colère contre les oppresseurs et la barbarie de la religion du profit. Le tunnel aux pigeons est l’histoire d’une solitude, celle d’un garçon qui sera sauvé autant que révélé par sa passion pour la culture romantique allemande, une passion qui lui fait désormais partager son temps entre la Cornouaille et son chalet dans les Alpes Bernoises. Celle aussi, et sans doute surtout, d’un enfant abandonné à 5 ans par sa mère et grandissant à l’ombre d’un père "exagéré", sans foi ni loi, et sans amour non plus, qui formait déjà la trame, romanesque cette fois-ci, d’un de ses plus beaux romans, Un pur espion. C’est la fin de son livre, l’heure des aveux et du crépuscule. Il n’y a rien à rajouter. Olivier Mony

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