"Il y a dans ma maison quelqu’un dont je me méfie/qui me défie". Vous souvenez-vous de cette vieille chanson d’Alain Chamfort, L’ennemi dans la glace ? Déborah, l’héroïne de Vivre ensemble, le nouveau roman d’Emilie Frèche, pourrait, face aux ombres qui s’avancent dans sa vie, la fredonner. Cette jeune femme, la quarantaine urbaine et volontaire, divorcée depuis peu, mère de Léo, 13 ans, a rencontré Pierre, un avocat engagé dans la défense des migrants. Le couple se refuse à en être un au quotidien jusqu’à ce que les attentats du 13 novembre 2015, dont ils sont les témoins directs, ne les amènent à se remettre en question et ne les décident à enfin vivre ensemble. Déborah, Léo et Pierre, donc, mais aussi - et c’est là que le bât va blesser -, une semaine sur deux, Salomon, 11 ans, le fils de Pierre. Hurlements, violences, menaces, cet enfant paraît vouloir que le sacro-saint "vivre ensemble" puisse être plutôt un "mourir ensemble".
C’est à la fois audacieux (car bravant la dérision des bonnes âmes…) et ambitieux de la part d’Emilie Frèche, qui est ici à son meilleur niveau de colère et de sens du romanesque mêlés, de déplacer ainsi le "théâtre des opérations" de la psyché nationale vers le foyer familial. On pourra y lire une métaphore de ce qui est en jeu dans tout processus de radicalisation. On pourra aussi saluer un livre qui parvient à être, à mesure égale, politique, un thriller psychologique, et finalement un roman d’amour. Olivier Mony