Après un certain nombre de collectivités, de médias ou de personnalités publiques, c’est désormais au tour des acteurs du monde du livre de déserter le réseau social X (anciennement Twitter). Dirigée par le multi-milliardaire Elon Musk, qui vient par ailleurs d'être nommé à la tête de la Commission à l'efficacité gouvernementale (Doge) par le nouveau du président Donald Trump et soutient allègrement plusieurs partis d’extrême droite, la plateforme est dorénavant considérée comme un danger pour la démocratie, aux yeux de plusieurs éditeurs et institutions culturelles.
Premier acteur majeur de l’édition à avoir rompu avec X, l’éditeur Gallimard a décidé d’y suspendre l’ensemble des activités du groupe Madrigall (dont 29 maisons, huit librairies et 11 structures de diffusion et distribution), il y a déjà trois semaines. « Attaché à la qualité et la pluralité de l’information, Antoine Gallimard, président du groupe Madrigall, a pris la décision de suspendre en ce 20 janvier toute activité sur X (ex-Twitter) des comptes de l’ensemble de ses maisons et librairies », a annoncé la maison sur LinkedIn.
Conserver des espaces de liberté d'expression et de démocratie
Une prise de position qui a encouragé d’autres acteurs à se libérer, à leur tour, de la plateforme. « La liberté d’expression, le respect, la diversité et l’indépendance sont des valeurs fondamentales et motrices dans l’exercice de notre rôle de passeur », a rappelé Actes Sud, le 6 février dernier. L’éditeur, qui dit avoir cessé toute publication de contenu depuis la mi-janvier, n’a cependant pas tout à fait quitté la plateforme, préférant y geler ses comptes. Il appelle néanmoins à « la mobilisation collective des acteurs du monde culturel », en faveur de la création d’un « espace indépendant, libre et démocratique d’échange et de partage d’informations ».
Plus radicales, les éditions Rivages ont, comme la maison Zulma, décidé de supprimer définitivement leurs comptes. Et ont invité leur public à les rejoindre sur Blueksy, plateforme décentralisée créée en 2019. À la suite de cette initiative de plusieurs pointures de l’édition française, le Centre national du livre (Cnl) s’est également aligné mardi 11 février, faisant valoir une décision « aussi liée à une conscience aigüe des risques d’une utilisation excessive et aveugle des réseaux sociaux, et plus généralement du numérique, à l’heure d’une fragilisation de nos démocraties ».
« Une plateforme où l’algorithme amplifie la haine »
Pour cet établissement de référence, « rester sur X en 2025, c’est fermer les yeux sur une dérive préoccupante : celle d’une plateforme où l’algorithme amplifie la haine, promeut les mensonges et valorise des discours extrémistes ». L’institution a également pointé du doigt « un système qui participe au recul des libertés individuelles, des droits sociaux et des valeurs démocratiques, tout en captant notre attention et notre temps au quotidien ». Déjà volontairement absent du réseau social chinois TikTok pour les mêmes motifs, le CNL a néanmoins annoncé que ses actualités et celles des professionnels de la filière continueront d’être diffusées sur d’autres plateformes comme Facebook, Instagram, LinkedIn, mais aussi Bluesky, qu’il a récemment investi.
D’autres, à l’instar de Mâtin, quel journal !, le journal digital des éditions Dargaud, dirigé par Clotilde Palluat, ont mûri les mêmes réflexions. « Après mille ans de tergiversations et forte des récentes déclarations du boysclub étasuniens, la joyeuse équipe de Mâtin a : fermé son compte X, ouvert un compte LinkedIn », a révélé l’éditrice et rédactrice en chef sur son propre compte Instagram. « On fait ce choix, car on a besoin de sortir de la logique de Meta seule, qui est trop versatile et imprévisible. Et qu’on ne peut pas mettre tous nos œufs dans le même (vilain) panier. Mais aussi parce que sur LinkedIn, il y a un public professionnel qui nous intéresse (…) », a-t-elle ajouté.
Le phénomène a aussi gagné les bibliothèques, celle de l’université de Strasbourg (Bnu) ayant annoncé sobrement début janvier son départ de la plateforme, imitée un mois plus tard par la médiathèque de la Canopée.