Cet article initialement publié par Publishers Weekly est re-publié dans le cadre d'un partenariat. L'article original est disponible à cette adresse.
Lorsque Donald J. Trump est devenu président en 2017, le monde de l’édition avait une vague idée de ce qui l’attendait. Magnat de l’immobilier connu pour ses tendances procédurières et star de la téléréalité, Trump était déjà une figure incontournable des tabloïds dans la capitale mondiale de l’édition, New York, bien avant son entrée en politique. Aujourd’hui, alors qu’il retourne à la Maison-Blanche, les éditeurs ne se contentent plus de suppositions : ils disposent désormais d’une véritable feuille de route.
Des inquiétudes autour de la liberté d’expression
Si la menace pesant sur le financement des arts et des sciences humaines inquiète certains, la préoccupation majeure des éditeurs reste la liberté d’expression. « Le président-élu a une longue histoire d’utilisation des poursuites en diffamation et autres litiges pour intimider auteurs et éditeurs, les dissuadant de publier des critiques ou des informations contraires à ses intérêts », déclare la Guilde des auteurs dans un communiqué adressé à Publishers Weekly. La Guilde ajoute que Trump semble décidé à continuer d’utiliser ces tactiques pour « rendre la vie impossible » à ceux qui le contestent.
Durant son premier mandat, l’administration Trump a fréquemment menacé ou intenté des procès sans fondement pour bloquer la publication de plusieurs ouvrages critiques avant leur sortie, notamment ceux d’anciens collaborateurs comme Omarosa Manigault-Newman ou John Bolton, ou du journaliste Michael Wolff. Trump avait également tenté de forcer Hachette Book Group à dévoiler l’identité de l’auteur anonyme du livre révélateur A Warning. Même dans le domaine privé, Trump a poursuivi sa nièce Mary Trump et, après son mandat, Bob Woodward pour son ouvrage The Trump Tapes. Bien qu’il ait perdu ou réglé ces affaires, il a continué à menacer des éditeurs, allant jusqu’à poursuivre Penguin Random House et le New York Times pour 10 milliards de dollars avant l’élection présidentielle de 2024.
En parallèle, les dernières années ont vu une hausse sans précédent des interdictions et censures de livres dans les bibliothèques publiques et scolaires, poussées par des groupes conservateurs. Cette vague de censure a contraint éditeurs, bibliothécaires et organisations de défense à multiplier les actions en justice. Pour Summer Lopez, co-directrice intérimaire de PEN America, ces menaces se divisent en deux catégories : les « menaces formelles et directes » et l’effet dissuasif plus large de la rhétorique politique venant de Washington. Selon elle, l’administration Trump continuera probablement sur cette voie, renforcée par le raz-de-marée électoral de 2024 qui a placé le Parti républicain aux commandes des trois branches du gouvernement fédéral.
Un protectionnisme potentiellement punitif
Sur le plan purement économique, ce que Trump fera concrètement concernant les tarifs douaniers reste la principale préoccupation des dirigeants d’entreprise. Dans les mois précédant son investiture, Trump a menacé d'augmenter de 10 % supplémentaires les taxes sur toutes les importations en provenance de Chine et d'imposer des taxes de 25 % sur les produits du Canada et du Mexique, une fois qu'il aurait repris la présidence.
Lors de son premier mandat, Trump a instauré des taxes sur une large gamme de produits, y compris les livres provenant de Chine. Des efforts menés par divers acteurs de l'édition ont permis d'exempter les Bibles et d'autres ouvrages religieux, et de réduire les taxes sur les livres pour enfants de 15 % à 7,5 %. Finalement, même ce taux réduit a été suspendu. Les autres livres imprimés en Chine sont restés soumis aux taxes, qui sont restés en vigueur tout au long de l’administration Biden. Les experts en commerce craignent que, puisque Biden n’a pas supprimé ces taxes, cela facilite la tâche de l’administration Trump pour en imposer de nouveaux, plus élevés.
Les dirigeants de l'industrie espèrent obtenir des éclaircissements sur de nombreuses propositions de Trump. Quels nouvelles taxes seront réellement mis en place, quand et comment ? Trump a suggéré qu’il pourrait utiliser un décret présidentiel pour les appliquer et, le 14 janvier, a même proposé la création d’un « Service des recettes extérieures » chargé de collecter les taxes et d'autres formes de revenus provenant de sources étrangères rapidement.
Dans des déclarations faites en décembre, le P-DG de HarperCollins, Brian Murray, a indiqué que l'éditeur surveillait de près la situation. Depuis la première administration Trump et la pandémie, HarperCollins a apporté des modifications à ses opérations mondiales d'impression et de chaîne d'approvisionnement pour minimiser les effets des taxes, mais Brian Murray a reconnu que certains risques subsistent. HC est le plus grand éditeur de Bibles du pays et dépend encore fortement des imprimeurs chinois pour la majorité de celles-ci.
Lors d'une conférence téléphonique avec des analystes sur les résultats du deuxième trimestre, le président de Scholastic, Peter Warwick, a également déclaré que les changements apportés par l’entreprise à sa chaîne d’approvisionnement mondiale permettraient d’atténuer les effets de nouvelles taxes. « Nous surveillons de près la politique commerciale des États-Unis, notamment envers la Chine, le Mexique et le Canada », a déclaré Warwick. « Nous restons confiants dans la capacité de notre équipe de chaîne d’approvisionnement à limiter l’exposition à d’éventuels taxes, tout comme elle a su gérer les perturbations liées à la pandémie ». Warwick a également abordé un sujet mentionné par d'autres acteurs de l'industrie : les éditeurs seront probablement protégés de tout impact immédiat des nouvelles taxes, car les stocks pour la première moitié de 2025 sont déjà présents aux États-Unis.
Le directeur exécutif de l'Association canadienne des éditeurs, Jack Illingworth, a noté qu’au Canada, où de nombreux éditeurs dépendent du marché américain pour plus de 50 % de leurs ventes, « nous suivons de près la situation et sommes en contact avec nos partenaires gouvernementaux au sujet des risques et des éventuels recours ». Les tarifs douaniers « auraient un impact négatif sur toute la chaîne d'approvisionnement de l'édition, tant au Canada qu'aux États-Unis », a-t-il ajouté, précisant que de nombreux éditeurs multinationaux actifs au Canada « impriment un grand nombre de livres ici mais les distribuent au Canada depuis les États-Unis », ce qui signifie qu'« ils pourraient potentiellement être impactés deux fois si le Canada imposait également des taxes en représailles ».
L’un des objectifs de l’administration Trump en augmentant les taxes est de rendre les fabricants américains plus compétitifs. Ces dernières années, de nombreux éditeurs américains ont relocalisé une partie de leur production précédemment effectuée à l’étranger, mais ils restent préoccupés par le fait qu'imprimer davantage de livres au niveau national augmentera les coûts. Cet argument est contesté par les imprimeurs américains, qui affirment vouloir collaborer avec les éditeurs pour soutenir une industrie nationale de l'impression en bonne santé.
« Des politiques commerciales réfléchies et stratégiques peuvent contribuer à rétablir l’équilibre, en veillant à ce que les producteurs nord-américains ne soient pas désavantagés par des structures de coûts déloyales sur les marchés internationaux », a déclaré l’Institut des fabricants de livres dans un communiqué à Publishers Weekly. « Nous nous engageons à soutenir les éditeurs avec des solutions rentables et d’origine nationale qui isolent l’industrie du livre des conflits mondiaux et des perturbations, renforçant ainsi une chaîne d’approvisionnement stable et autosuffisante pour l’avenir. »