Depuis qu’il n’est plus président du Festival de Cannes, Gilles Jacob a trouvé un nouveau boulot : écrivain. Et il s’en acquitte avec talent et conscience. L’année dernière, il a publié Le Festival n’aura pas lieu et, avec Michel Piccoli, J’ai vécu dans mes rêves (tous deux chez Grasset). Le revoilà avec Un homme cruel, un "roman vrai" autour de la figure et du destin fascinant de Sessue Hayakawa.
A priori, rien ne destinait ce fils d’un officier de la Marine impériale devenu gouverneur, né en 1889 dans la province de Chiba au Japon, à passer sa longue vie en Occident et sous les sunlights des plateaux de cinéma. Rien si ce n’est peut-être un goût des ailleurs et de l’autre qui, à travers les avanies et les triomphes de sa vie, ne se démentira jamais. Sessue sera dans l’Amérique du muet, des années 1910 et 1920, le sex-symbol hiératique et magnifique, exotique aussi, qu’elle réclamait. Il est de toutes les fêtes, de presque tous les films, ami de Chaplin, incarnation de la fascination des spectateurs pour l’Orient lointain. La suite sera plus sombre : l’opium, le jeu, le racisme antijaponais d’un pays qui pressent Pearl Harbor feront tomber l’idole, réfugiée un temps en France pour jouer encore, peindre, laisser passer la douceur des jours alors que les nuages s’amoncellent. Il redeviendra pourtant ce qu’il a été, lorsque sort, en 1957, Le pont de la rivière Kwaï de David Lean. Avant que la mort de sa femme ne lui permette, réfugié dans un monastère bouddhiste au Japon, dévolu au silence après trop de bruit et de fureur, d’écrire le dernier chapitre de sa vie.
Gilles Jacob nous la redonne avec une belle empathie. Cet homme en constante réinvention de lui-même doit lui dire quelque chose. En somme, Sessue Hayakawa, c’est lui. O. M.