Le diable n’est pas que dans les détails. Il est aussi dans les déchets, dans ce qui pue. L’histoire des odeurs est donc aussi une histoire de nos répulsions olfactives. Ce n’est pas pour surprendre Robert Muchembled. L’auteur d’une fameuse Histoire du diable (Seuil, 2000, Points, 2002) le démontre, archives à l’appui, dans un travail passionnant. A la barre du tribunal des effluves, il convoque écrivains, médecins et juristes. Derrière ces remugles, surgissent comme des vapeurs délétères les effluves du corps social.
Celui qui est aujourd’hui professeur émérite à l’université de Paris-13 Sorbonne Paris Cité a prolongé l’investigation d’une de ses étudiantes en suivant la piste de l’arôme d’une époque. "Les choses ne sentent ni bon ni mauvais par elles-mêmes : c’est le cerveau qui opère la différence, puis la mémorise."
Trente-cinq ans après Le miasme et la jonquille d’Alain Corbin, Robert Muchembled explore les relations entre l’odorat et l’imaginaire social. L’historien du sensible, qui a longtemps enseigné aux Etats-Unis, déconstruit le parfum qui masque les mauvaises odeurs, le non-senti devenant l’équivalent du non-dit. Bref, nous sommes menés par nos narines, mais nous ne voulons pas en convenir.
Il explique aussi pourquoi les femmes apprécient plus les fragrances que les hommes. Parce que, depuis deux bons millénaires - les textes en témoignent -, elles sont accusées par les hommes de sentir plus mauvais qu’eux. Robert Muchembled montre aussi pourquoi le nez est déconsidéré par rapport à d’autres sens jugés plus nobles. Parce qu’il est trop lié à la sexualité. Les parfums sont en effet des pièges sur lesquels se referment les fantasmes. La psychanalyse saura d’ailleurs tirer quelques déductions de la sexualisation de l’odorat.
On le sent, un tel livre s’ouvre comme un bouquet de pistes nombreuses. "Tant que l’homme ne sera pas devenu un robot, l’odorat demeurera pour lui un sens primordial de repérage et d’adaptation aux situations d’angoisse ou de plaisir." Nous n’allons donc pas vers une désodorisation du monde. Peu à peu le nez reprend ses droits. Se laisser guider par lui pour découvrir le passé n’est pas innocent. Voici donc une histoire au pif qui sait où elle va. D’ailleurs on la suit à la trace. L. L.