Tokyo n'est pas une ville, du moins dans le nouvel album de Joann Sfar. C'est, comme l'écrit l'auteur du Chat du rabbin (Dargaud), de Kletzmer ou de Chagall en Russie (Gallimard), "une fille bronzée aux grands yeux clairs avec short à franges et cheveux rouges". Un style qui donne le ton du récit le plus déjanté de l'auteur prolifique et touche-à-tout. Celui-ci avait visiblement besoin d'un bon défouloir après avoir supporté les contraintes de la réalisation de deux films successifs, Gainsbourg (vie héroïque) et le long-métrage animé tiré de son Chat du rabbin. Dans Tokyo, conçu sous le choc de l'accident nucléaire de Fukushima, avec pour la bande-son des clins d'oeil au groupe de metal-rock Medusa's Child, il recrée une ambiance de série Z à base de récit d'horreur, sang et sexe à gogo.
Sur un atoll irradié soumis à la seule loi du marché (sic) et peuplé de monstres repoussants, Tokyo est l'amoureuse du tigre Tiger, mais n'est pas insensible aux "plans cul" du lion El Rey. L'île compte aussi une dessinatrice de bande dessinée forcément baptisée... Joana, qui "dessine du sexe tout le temps". Elle se passionne pour la BGM (banane génétiquement modifiée), aux compétences sexuelles certifiées. Parallèlement, Mitchell, ancien soldat des forces spéciales, est de retour après avoir tué beaucoup de monde. Obsédé par un feuilleton pornographique sur Internet, il va vite se trouver écorché et soumis à toutes sortes de vicissitudes. Cerise sur ce gâteau très trash, le "grand vampire" créé par Sfar pour sa série rebaptisée Le bestiaire amoureux (Delcourt) assure un bref interlude musical.
Joann Sfar s'est également défoulé sur le plan technique. Doubles pages oniriques, cases inclinées, mini-séquences incrustées, commentaires dispersés un peu partout, intégration de la photo pour donner un autre corps à ses pulpeuses héroïnes... Violent, vibrant, exubérant, punk en diable, Tokyo est un ovni. Spectaculaire, beau et... à suivre. Si son auteur tient le rythme.
