Lupus se fait exploser la tête au fusil de chasse. Nói assiste à la scène, impuissant. Ce dernier a 13 ans, l’autre n’ira pas au-delà. Lupus est un chien-loup dont le grand-père de Nói abrège les souffrances. "Choc sonore, vision fugace du chien sans tête. Fréquence sonore sourde dans les tympans, mutante, crissante… Black-out. […] Il rouvrit les yeux, repartit à quatre pattes vers la cour et dégueula sur des morceaux de poils et de chairs indistincts, éparpillés au milieu de cristaux de glace. Haut-le-cœur, acides. Nói vomissait ses tripes, ce lieu, ces hommes et leur soleil insomniaque." La scène inaugurale de La rouille d’Eric Richer servie par une écriture nerveuse, graphique, gothique donne le "la" de ce premier roman tout à fait surprenant. On y suit les pas du jeune héros shooté au trichloréthylène, flanqué d’un drôle de squale, Black Shark (émanation fantasmagorique ou vrai ange gardien?), dans son quotidien - la casse d’Ilyviesk où vivote un lumpenprolétariat de la démerde et du trafic, sur fond de concerts de metal et de matchs de MMA. Terj Hakkarl, oncle Otto, Vladek Tarert, Pavaali McLeod… les noms font islandais, scandinave, slave, anglo-saxon. On ne sait pas où l’on est exactement. Dans la noirceur existentielle, très certainement. Le livre nous plonge dans un univers crépusculaire mâtiné de SF, entre Mad Max et la littérature post-exotique d’Antoine Volodine. C’est "Mad Trax", les "sentiers fous" d’une quête, le récit de la difficile émancipation d’une enfance sans mère (cette femme idéale dont Nói garde une unique image, à la fois l’horizon et la faille de sa vie) et sous la vigie d’un père casseur, espèce de charognard se repaissant des accidents de la route et de carcasses automobiles. Roman initiatique picaresque trash, où l’on tourne les pages à la vitesse du quad Yamaha Grizzly qu’enfourche le héros pour sillonner le monde. S. J. R.