À vous qui (manifestement) lisez des magazines, je vais faire une confidence : avant d'acheter n'importe quelle publication, mon critère le plus déterminant consiste à vérifier s'il y a un horoscope. Ou pire, de la numérologie. Si j'aperçois le moindre entrefilet concernant la méditation, les rituels, les bougies, les mandalas ou même fucking Harry Potter, je repose.
En bonne féministe, pourtant, j'ai lu Mona Chollet, Pénélope Bagieu et Taous Merakchi (1) - je me suis arrêtée là, il ne faut pas déconner non plus. J'ai bien compris qu'il faudrait verbaliser ses souhaits (quand j'étais enfant, notez bien qu'on appelait ça écrire au père Noël), se ressourcer en tirant le tarot chaque matin (sérieux, les copines, vous ne préférez pas prendre une douche comme tout le monde ?).
Oh, intellectuellement, je comprends les raisons de cette spectaculaire invasion éditoriale de sorcières : on retourne le stigmate pour en faire un étendard (les étendards font plus joli sur Instagram), on revalorise le domestique (c'est plus facile que batailler pour en sortir), on conteste les normes « masculines » du succès (les deux mains dans le compost). En somme, au lieu de changer le monde qui nous entoure, on crée son monde propre. Très bien. Dans ces conditions, on donne raison à tous ceux qui décrivent le féminisme comme séparatiste, bourgeois ou déconnecté du réel - autrement dit, on scie la branche (de chêne millénaire) sur laquelle on est assises.
Outre mon attachement très réac' à la méthode scientifique, c'est le côté politique qui me rend chèvre : quand j'apprends qu'une précieuse énergie féministe (sans parler d'un pognon de dingue) disparaît en rituels plutôt qu'en réseautage pour infiltrer les lieux de pouvoir, ça me met la rate au court-bouillon. D'autant que quand mes adversaires politiques s'en remettent à l'occulte, je suis la première à applaudir : franchement, si toutes les petites frappes masculinistes allaient brûler de la sauge au lieu de harceler les filles dans le métro, si l'Académie française faisait des grimoires plutôt que des dictionnaires, si les Sénateurs dansaient en cercle plutôt que de bloquer la PMA pour toutes, vous me verriez au premier rang des défenseuses de l'ésotérisme.
En attendant, je vais continuer de jalouser les chiffres de vente de mes consœurs sorcières (et clairement là, je la ramène moins). Je vais persister à touiller mon chaudron de bile quand certaines bricolent leurs propres tisanes magiques. Et je vais me réjouir qu'au moins dans Livres Hebdo, il n'y ait jamais eu d'horoscope.
(1) Respectivement auteures de Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Zones), Sacrées Sorcières (Gallimard Jeunesse) Witch please, Grimoire de la sorcière moderne (Livre de Poche).