C’est une fille qui arrive en douce. Une romancière qui s’insinue. Il y eut pour Marie Modiano la comédie, la chanson, la poésie et toujours l’ombre tutélaire du père, pour ne pas être prise pour ce qu’elle est fondamentalement, un écrivain. Qui n’a besoin de personne pour cheminer parmi les spectres.
Cela devient évident avec ce deuxième roman, Lointain, qui fait plus que tenir les belles promesses du premier, Upsilon Scorpii (Gallimard, 2013). Une femme, jeune, déjà chargée de deuils, se souvient. D’abord de cet homme, cet Américain à peine plus âgé qu’elle, rencontré sur le pont des Arts, alors qu’elle n’était encore qu’adolescente. Cet homme qu’elle a suivi, qui l’a suivie, les années passées ensemble, dans son absence aussi, les voyages… Cet homme qui ne croyait qu’en la littérature, venu à Paris pour s’y accomplir comme écrivain, qui a fini par s’absenter tout à fait et ne peut plus dès lors vraiment la quitter. Elle se souvient aussi de ces années qui suivirent et la laissèrent dans le sillage de ses 20 ans. Elle était comédienne ou cherchait vaguement à le devenir tant cela lui paraissait le plus proche de son indécision d’être. Son ami américain n’était plus là. Un metteur en scène au nom prestigieux lui proposa alors de rejoindre sa troupe pour y tenir un rôle (pas le plus grand, mais mieux que de la figuration intelligente) dans une pièce du répertoire classique français qu’il montait alors, à Lausanne d’abord, à Paris à l’Odéon, puis un peu partout en Europe du Nord : à Oslo, Vienne, Weimar, Bochum, Hambourg, Munich, Zurich… Là, pendant quelques mois, la jeune femme se promènera dans des parcs, le long de vastes avenues vides comme un dessin de Le-Tan, vivra la nuit, ira de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel, s’enivrera de temps en temps dans de vagues réceptions, ne se liera vraiment avec personne, sera là sans y être.
Tout au long de ce requiem pour d’impérieux absents, Marie Modiano tient la note désenchantée, inoccupée, de son héroïne. Bien sûr, il n’est pas interdit de reconnaître au fil de ces pages le romancier Tristan Egolf ou le metteur en scène Luc Bondy, mais l’essentiel, "le secret caché derrière la porte" de ce texte précieux, est ailleurs. Dans un no man’s land magnifique, le monde désert de Marie Modiano. Olivier Mony