Avant-critique Roman

« Éclosion », c'est le nom qu'a choisi de donner à sa toute première collection le jeune apprenti styliste nigérian Olujimi, qui part la présenter à la Fashion Week de Berlin. Après plusieurs mois de doute, de dépression, durant lesquels il avait quasiment disparu de la circulation et de ces satanés réseaux sociaux qui ont fait à la fois sa renommée et son malheur, il saute le pas vers l'Allemagne, sans idée de revenir jamais dans son pays. Outre sa carrière, une autre raison l'y pousse : retrouver Mirko, un diplomate allemand avec qui il a connu une histoire d'amour intense, mais qui ne lui a plus donné signe de vie depuis. Vivant dans la même ville, fréquentant la même société branchée, se retrouver devrait être plus facile.

« Éclosion » est également symbolique à un autre titre, plus intime. Olujimi, né dans une famille chrétienne bourgeoise d'Abuja − son père, juriste, a exigé qu'il fasse des études de droit, au cas où − a toujours été attiré par les garçons. Il se sent femme dans un corps d'homme, androgyne, adore se maquiller, se travestir, se décolorer les cheveux. Une fois, il a essayé d'en parler avec sa mère : cela lui a valu une sérieuse raclée, et un sermon. Ensuite, après qu'un article dans le Daily Trust où il se confiait sans fard lui a apporté à la fois une belle notoriété et un tombereau d'injures sur Instagram, son père et son frère, bigots, n'ont plus voulu lui parler et sa mère lui a asséné au téléphone des litanies de « repens-toi ». On comprend qu'il ait craqué, au point de partir un temps à Lagos chez son ami d'enfance Kingsley, devenu richissime grâce à Planète Naija, une application de rencontre homo, la première du genre au Nigeria, pays très traditionaliste. Et de ne plus donner de nouvelles à quiconque. Au grand dam de Zainab, jeune journaliste vedette de la chaîne de télé que possède son père, où elle présente une émission people. Elle enrage d'avoir loupé Olujimi, et met tous ses réseaux en œuvre pour finir par le trouver, le joindre.

Mélanie Birgelen, née à Roanne en 1987, est journaliste. Elle a vécu au Nigeria, correspondante pour différents médias. Ce qui explique sa connaissance du pays, de sa société, et le sujet de son premier roman, inspiré apparemment de l'histoire authentique d'un personnage réel, Innanoshe Richard Akuson, parti, lui, pour la Californie.

À travers ses héros (Olujimi, confronté à l'intolérance, l'homophobie, la bigoterie, ou Zainab, dont la mère a été victime des terroristes islamistes de Boko Haram, assassinée en pleine prière à la mosquée), mais aussi à travers la situation politique du pays (qui va voter en février pour élire son nouveau président), elle nous donne à connaître un Nigeria sur lequel, avouons-le, on ignore beaucoup de choses ici. Comme elle habite maintenant Bangalore, en Inde, gageons qu'elle trouvera là-bas un sujet, aussi contemporain, pour un deuxième roman.

Mélanie Birgelen
Nuit nigériane
Calmann-Lévy
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 240 p.
ISBN: 9782702184622

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